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ou encore :

Sortirai-je pour lui, quelque éclat dont il brille,
De la pudeur du sexe et du devoir de fille ?
( Tartuffe, II, 3.)

et encore :

Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner,
Qui blesse la pensée, et fasse frissonner ;
( Femmes savantes, I, 1.)

Toutes ces « chevilles, » manifestement, soulagent l’attention de l’auditeur. Elles nous donnent le temps de respirer. Je ne sais si l’on ne pourrait ajouter qu’elles règlent la diction de l’acteur. A tout le moins l’avertissent-elles de la monotonie de notre alexandrin. Elles l’obligent à changer de ton. Elles le ramènent au naturel. Elles rapprochent encore le discours de l’allure de la conversation. Il n’a pas l’air étudié, calculé, compassé. Grâce à ces chevilles, le personnage n’apporte point sa phrase toute faite ; il ne la récite point comme venant de son auteur, mais de son fond, à lui, qui parle ; il la cherche en notre présence, devant nous, et la trouve à peine avant nous, presque en même temps que nous. Et puisque rien n’est plus « précieux » que de vouloir faire un sort à chaque mot, on conçoit que rien n’ait répugné davantage au grand ennemi de la préciosité.

Ce qui est encore moins naturel, aux yeux de Molière et de la plupart des honnêtes gens de son temps, c’est de suivre ses métaphores. Ils ne vont pas tout à fait aussi loin que ce prince de Conti, qui prétendait qu’encore vaut-il mieux dire : « Je suis crotté… comme une horloge, » que de rester court sur une comparaison. C’était se donner un peu trop de liberté. Ce qui est toutefois certain, c’est que ces métaphores incohérentes, — qui amusent tant nos journalistes, sous la plume de leurs confrères, — ne sont point au XVIIe siècle pour arrêter les meilleurs écrivains. En voulez-vous, de qui ? de Corneille, dans son Menteur ?

Ce malheureux jaloux s’est blessé le cerveau
D’un festin qu’hier soir on m’a donné sur l’eau.

En voulez-vous de Mme de Sévigné ? Elle déplore la mort de l’archevêque d’Arles, et elle écrit : « Il n’y a point d’esprits ni de cœurs sur ce moule ; ce sont des sortes de métaux qui ont été altérés par la corruption du temps : enfin il n’y en a plus de cette