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pas réduire, par les secours qui pourraient leur être offerts, les ressources des corporations déjà en grève, fidèles à leur passé où, dans leurs grèves successives, ils ne se sont jamais départis du plus grand calme et ont toujours mérité les sympathies du public par leur respect de l’ordre ; ils déclarent ne pouvoir s’associer au mouvement actuel, qui, n’ayant pas été préparé, prête à l’équivoque quant à la réussite d’une grève absolument corporative ; adressent aux grévistes raisonnables leurs sympathies et leurs souhaits de réussite en s’engageant à ne pas aider à l’exécution de leurs travaux à titre de réciprocité pour le jour où ils déclareront à leur tour la grève, jour dont ils entendent rester les seuls maîtres et juges.


Cette décision des charpentiers eut un grand retentissement : elle indique bien le sentiment intime des associations ouvrières, dont l’objectif est purement professionnel. En même temps, le Syndicat des fumistes protestait contre un avis annonçant le vote de la grève et contre l’intrusion dans la salle où se tenait leur réunion de gens étrangers à la corporation qui cherchaient à fausser le vote et à exercer une pression sur le bureau. Le Bureau déclare qu’il a préféré lever la séance et qu’il réserve sa décision. La résolution de ne pas admettre d’étrangers dans les réunions corporatives, était du reste générale. Déjà les serruriers, qui comptaient parmi les plus violens, avaient expulsé de la salle où ils délibéraient le célèbre conseiller municipal Brard, un des protagonistes de la grève. Même mésaventure arrivait au député de Charenton, M. Baulard, qui se fait mettre à la porte le 10 octobre par la réunion des ferblantiers, plombiers, zingueurs.

Cependant le comité de la Bourse du Travail s’entête : il espère pouvoir entraîner les indécis et effrayer les timides. Il lance un nouvel appel dont le style déclamatoire contraste d’une manière frappante avec le calme plein de dignité des charpentiers. Il fait l’historique de la grève, et montre l’intérêt de solidarité qui a décidé les peintres, les parqueteurs, les sculpteurs à soutenir les terrassiers dans leur lutte contre le capital. Il rappelle les revendications communes à tous les travailleurs : l’application de la série de 1882, la suppression de la signature devant la juridiction du Conseil des prud’hommes, l’application de la loi de mars 1848 sur le marchandage, et enfin, ce qui est nouveau, la révision de la série de 1882 dans le sens de la journée de huit heures avec un minimum de salaires. Il accuse « le gouvernement qui se dit républicain » de ne pas soutenir les travailleurs et « fait appel à tous ceux qui pourront l’aider dans cette lutte où le capital et le travail sont engagés. » Il