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pouvoir reculer. M. Guérard se lance dans la mêlée avec l’obstination héroïque de la vieille garde au soir de Waterloo, et la Petite République du 14 octobre annonce d’un accent de triomphe que 18 000 compagnons serruriers ont abandonné le travail et que la fédération des métallurgistes, forte de plusieurs milliers d’adhérens, a voté à l’unanimité l’ordre du jour très significatif que nous reproduisons en tête de cet article. Un souffle révolutionnaire semble passer sur le monde du travail.

C’est, à ce moment décisif, qu’un élément nouveau apparaît, et l’agitation factice qui se fait autour de la Bourse du Travail s’efface devant l’action irrésistible des véritables syndicats professionnels. La poussée socialiste et révolutionnaire s’arrête devant l’esprit conservateur et traditionnel des grandes corporations organisées qui n’entendent pas se laisser entraîner par un mouvement qu’elles désapprouvent. Tant qu’il ne s’était agi que de la grève des terrassiers, elles s’étaient montrées sympathiques, comprenant que ces syndicats de manœuvres, sans organisation et sans ressources, avaient besoin de rechercher des concours étrangers ; mais, quand elles voient les révolutionnaires faire dévier le mouvement corporatif vers une tentative de guerre sociale, elles se décident à sortir de leur réserve.

Les charpentiers donnent le signal. Leur corporation est probablement la seule qui ait survécu à la Révolution française, et elle comprend actuellement les groupes des Compagnons passans, des Compagnons du Devoir, de Liberté, et de la Fédération des charpentiers de la Seine. Elle possède un patrimoine corporatif, des cours professionnels, et une hiérarchie soigneusement conservée avec ses pratiques d’affiliation : elle a gardé au plus haut point l’esprit corporatif. A la suite de l’appel adressé par le Comité de la grève à tous les ouvriers du bâtiment, elle se réunit en assemblée générale, le dimanche 11 octobre, dans la grande salle de la Bourse du Travail, et vote à l’unanimité l’ordre du jour suivant :


Sans se déclarer satisfaits de la non-application des prix de journée portés à la série de la Ville de Paris, année 1882, et faisant toutes réserves sur ce point quant aux revendications qu’ils peuvent formuler plus tard, considérant que leurs ressources ne sont pas suffisantes pour soutenir actuellement une grève qui, par l’état actuel des travaux en ce qui les concerne et l’époque de l’année où nous sommes, serait d’une longue durée ; — consciens de l’obligation où ils seraient de ne compter que sur eux-mêmes, et ne voulant