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et la puissance des grandes unions anglaises, et on peut s’étonner de la vitalité qu’ils ont montrée en cette circonstance en repoussant par leur patriotique révolte la propagande des internationaux et des anarchistes.

Si, comme nous espérons le prouver au cours de ce travail, la grève du bâtiment s’est terminée par la victoire de la partie la plus saine des travailleurs, le fait est assez important pour être mis en lumière, mais d’autres enseignemens ressortent encore de cette étude. C’est d’abord la nécessité d’assurer la représentation légale de tous ces braves gens qui cherchent à l’aveugle, au milieu de l’anarchie actuelle, l’organisation nécessaire. C’est aussi l’avantage de la publicité imposée aux associations, et la révélation du rôle considérable que sont appelées à remplir les bourses du travail, actuellement abandonnées aux intrigues des socialistes et qui devraient, comme l’a indiqué M. de Molinari, devenir une des bases de la reconstitution du régime du travail. C’est encore la révélation d’un état de choses nouveau, inconnu de l’enseignement officiel, suspect aux économistes, ignoré des intellectuels, introduisant dans l’édifice vermoulu de notre constitution des organismes empruntés aux vraies traditions nationales, et c’est enfin le début d’un personnel non moins nouveau destiné peut-être à remplacer le personnel politique qui achève de se déconsidérer dans ces dernières crises.

Voilà ce que nous avons cru apercevoir dans cette courte grève commencée le 14 septembre et terminée le 19 octobre, et ce que nous voudrions rendre sensible, non par des déductions ou des raisonnemens toujours sujets à discussion, mais par des faits, des documens et des chiffres. Etude consolante, puisque, au milieu de nos tristesses, elle révèle dans la nation des réserves inépuisables d’initiative, de vigueur et de dévouement, et qu’elle prouve que la décadence qui attaque les couches superficielles n’a pas encore atteint le cœur de la France ! Mais étude inquiétante, parce qu’en constatant les obstacles de tout genre qui s’opposent à une réforme sociale, on voit trop clairement que les travailleurs n’y sauraient procéder à eux seuls, et qu’il leur faudrait rencontrer dans le gouvernement le secours éclairé qui leur a été donné en Angleterre et dans d’autres pays. C’est une tâche qui paraît malheureusement bien lourde et bien difficile pour ceux qui gèrent actuellement nos destinées.