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de leur côté, en reculant devant les conséquences ultimes de leur système.

Peu à peu se dégage, ainsi, de part et d’autre, par la force des faits, la conception d’une vie nationale indépendante de la croyance religieuse de chacun des citoyens. Et c’est là précisément où en est Richelieu. S’il considère que c’est un crime au citoyen de s’insurger contre l’État ou de chercher à constituer un État dans l’État, crime qui appelle la répression par la force, il ne songe nullement à recourir à la force quand il s’agit de la foi. Tout au contraire, il s’en défend. Il souscrirait volontiers aux paroles de Bodin : « Que le prince renonce à la violence. S’il veut attirer ses sujets à sa propre religion, qu’il use de douceur. La violence n’aboutit qu’à rendre les âmes plus revêches : par elle, on tombe dans les plus grands maux auxquels puisse s’exposer un État : les émotions, troubles et guerres civiles. » En un mot, l’homme d’État fait déjà la paix à laquelle l’évêque ne consent par encore. La conception de l’unité est ramenée à l’unité nationale et elle s’y tient. Ainsi, cette forte intelligence reste, plus qu’elle ne s’en rend compte peut-être, fidèle à elle-même. En effet, l’homme qui a écrit le livre et la préface n’est-il pas le même qui, après avoir pris La Rochelle, deviendra l’allié des protestans, faisant, de cette contradiction apparente, l’axe d’une existence où se retrouvent toujours le sens pratique, la mesure et un vigoureux esprit de modération ?

La rédaction et la publication de ce traité furent, pour Richelieu, une forte et salutaire distraction durant l’été de 1617. Au début d’octobre, il écrivait au garde des sceaux pour lui demander le privilège, et, le 7 du même mois, il obtenait l’approbation des docteurs de Poitiers. Bientôt, il envoyait des exemplaires de son livre, imprimé dans cette ville, à ses amis, aux docteurs de la Sorbonne, à ses confrères, les évêques, au Père Suffren, confesseur de la reine mère, et il recevait de partout des complimens et des félicitations. Plusieurs pasteurs protestans répondirent promptement. Mais l’ardeur qu’ils mirent à transporter la querelle sur le terrain politique indique combien ils étaient encore éloignés de partager les tendances hautement modérées de leur contradicteur.

Le livre, en un mot, produisit tout l’effet sur lequel l’évêque pouvait compter. Il tint le public en haleine et força l’attention et l’estime des hommes graves. Le succès fut tel que les