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souffle contre eux, croisent les bras et attendent. Leur orgueil souffre, mais il n’est pas abattu. Il résiste, de lui-même, à la tentation qui est la plus vive, pour leur nature combative, celle de prouver qu’ils ont raison. Ils replient leur dialectique dans le silence et répriment leur conviction dans un sourire. Ils attendent, confians dans le retour des choses, dans une espèce d’équité qui gît au fond de l’âme des foules, et dans un jugement impartial qui, peut-être, leur sera refusé même après leur mort. Quand ils sont encore jeunes, ils adoptent ce parti d’autant plus volontiers qu’il n’exclut pas un certain calcul. Certainement, ce qu’il y a de plus habile au monde c’est de bien faire ; mais ce qu’il y a de plus sage c’est de se taire.


I

Une fois passées les premières semaines tumultueuses que nous avons racontées, Richelieu entra dans la disgrâce avec la décision prise de ne laisser fléchir, pour aucune raison, la ligne de conduite qu’il s’était tracée. Il attendrait l’heure où on lui rendrait justice et où les deux partis rivaux seraient d’accord pour recourir à lui. Il écrit, vers le milieu de 1617, à M. d’Haligre : « Je suis réduit en un petit ermitage parmi des livres qui ne peuvent vous rendre aucun service ; » en août 1617, au nonce : « Je vis dans mon diocèse parmi le contentement de mes livres et les actions de ma charge. » Bientôt après : « Je suis résolu de couler doucement le temps parmi mes livres et mes voisins. » Sur la fin de 1617 : « J’estimois qu’étant du tout attaché à ma charge et à mes livres, je serais exempt de calomnies. » Et enfin, au début de 1618 : « En cet éloignement, j’ai vécu en ma maison parmi mes livres. » Je ne pense pas qu’il soit possible de pousser plus loin, pour un homme aussi actif, le parti pris du détachement et de l’étude.

Non seulement il le dit, mais, en homme sérieux qu’il est, il fait ce qu’il dit. Sa correspondance, du moins pendant les deux premières années de son exil, chôme et s’éteint. On dirait qu’il retient son souffle. On l’entend à peine. Il ne s’adresse plus qu’à des femmes, à des prêtres, entretenant tout juste ses relations du monde et ne s’appliquant guère plus qu’à la surveillance de ses affaires particulières. Il se fait petit, et il a raison ; car l’orage gronde toujours sur sa tête.