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veut, mais avant tout et fondamentalement sur un acte de foi, si c’est sur la croyance à la véracité du Dieu qui l’a guidé, lui, Descartes, et dans la disposition des parties, et dans l’observation de la méthode, et dans le choix des matériaux. « Et je reconnais très clairement, — c’est ainsi qu’il s’exprime, — que la certitude et la vérité de toute science dépend de la seule connaissance du vrai Dieu, de sorte qu’avant que je le connusse, je ne pouvais savoir parfaitement aucune chose. » Voilà, je pense, un acte de foi !

Un siècle entier s’écoule, un siècle et demi, le siècle de Malebranche et de Leibniz, de Fontenelle et de Bayle, de Voltaire, de Rousseau. Dans un monde intellectuel renouvelé par les découvertes des uns ou les discussions des autres, un professeur allemand, l’homme le moins pareil qu’il puisse y avoir à notre Descartes, reprend ce problème de la certitude, le pose, le discute, et le résout d’une manière nouvelle : c’est Emmanuel Kant. Si nous voulons accepter les conclusions de sa critique, nous sommes les jouets d’une fantasmagorie, et, dans tout ce que nous nous flattons de connaître, une analyse un peu pénétrante nous montre que nous ne retrouvons que la constitution de notre propre esprit. C’est ici l’anéantissement de toute certitude rationnelle, et c’est le doute universel jeté même sur les affirmations de la certitude expérimentale. Mais nous ne voulons pas de ce doute, et nous n’en voulons pas parce que nous voulons vivre. Comment donc en sortirons-nous ? Kant nous le dit en propres termes : « Nous supprimerons le savoir pour y substituer la croyance. » Et c’est-à-dire, en son langage, que, quand nous douterions de tout le reste, nous ne douterions pas de notre liberté, nous ne douterions pas de l’existence de la loi morale, ni de l’immortalité de l’âme, ni de l’existence de Dieu, ni de tout ce qui s’en déduit de légitimes conséquences. Ou, en d’autres termes encore, c’est la croyance qui fonde le savoir et, — détour inattendu, qu’on a souvent reproché à Kant comme une contradiction, mais qui n’en est pas une, — c’est encore par un acte de foi qu’il nous faut débuter dans la recherche de la vérité.

Franchissons cependant un autre espace encore, d’une centaine d’années, ou à peu près. D’autres progrès se sont accomplis. Si la science, en d’autres temps, n’en a peut-être pas réalisé de moins essentiels, peut-être n’en a-t-elle jamais réalisé de plus frappans qu’en nos jours, dont on ait fait des applications plus saisissantes, qui aient ressemblé davantage à une prise de possession des secrets de la nature par l’intelligence humaine. La philosophie s’est faite elle-même scientifique. Et, nous le disions tout à l’heure, science et philosophie,