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ouvert sur l’avenir, souvent en avance sur le temps et sur les autres hommes, il suit avec une ardeur ambitieuse les conceptions qui se lèvent dans son esprit lumineux. Mais l’exécution le rend cauteleux, prudent, habile, trop habile, se fiant à la finesse et à la supériorité de son esprit que tout le monde connaît, mais qui met tout le monde en garde. Si la réalité lui oppose ses obstacles ordinaires, si l’échec ou le danger apparaissent, son imagination le trouble ; il tremble, il hésite. Puis, tout à coup, la clarté de son esprit l’illumine de nouveau, le décide et lui rend tout aisé. Alors, vif, net, vigoureux, brisant, au besoin, l’obstacle d’un coup d’épaule, il se retrouve ferme, hardi, appuyé sur un caractère qui résiste comme un roc.

Ce dominateur n’est pas tendre, alors, pour ceux qui l’entourent et ce fascinateur use de sa puissance. Il ne s’agit plus de délicatesse, ni des petits moyens et des petits procédés où s’attarde la diplomatie féminine. Il devient brutal et d’une virilité dure où il y a peut-être plus encore de la chasteté du prêtre que de la froideur du politique et de l’autorité de l’homme d’Etat. Que sont, en somme, ces pauvres vies féminines comparées à l’œuvre qu’il se propose et dont sa vie supérieure est l’instrument nécessaire ? On dirait qu’alors il en veut aux femmes de ses procédés envers elles et de la captivité où elles auraient voulu et n’ont pas su le retenir. Il les traite rudement en fait, et ses paroles ne valent pas mieux. C’est en songeant à ces heures sans pitié qu’il écrira plus tard : « Il se trouve souvent, dans les intrigues des cabinets des rois, des écueils beaucoup plus dangereux que dans les affaires d’Etat les plus difficiles ; et, en effet, il y a plus de péril à se mêler de celles où les femmes ont part que des plus grands desseins que les princes puissent faire en quelque nature d’affaire. »


GABRIEL HANOTAUX.