esprit. Il admirait, il louait les morts ; il méprisait les vivans et ne manquait jamais une occasion de leur dire des vérités désagréables. C’était, si l’on veut, un missionnaire, mais c’était surtout un professeur de morale, qui enseignait ses sagesses aux princes et aux peuples.
Ses ennemis ont dit beaucoup de mal de lui, ils l’ont indignement calomnié. On raconte qu’un chef de brigands, nommé Kih, auquel il prêchait la vertu, lui repartit : « Tu bavardes sans cesse, tu débites des sentences ; à tout propos et hors de propos, tu invoques tes vieux sages, tes lèvres ne sont jamais en repos, ta langue se démène comme une baguette de tambour. Tu raisonnes sur le juste et l’injuste, tu décides, tu tranches, et tu es cause qu’à ton exemple, les lettrés négligent leurs occupations habituelles et se mêlent de choses qui ne les regardent point. Tu parles continuellement de piété filiale, de fraternité, et tu flagornes les riches, les puissans de ce monde. Ton vêtement bizarre, ta ceinture étroitement serrée, tes discours artificieux et ta conduite hypocrite en imposent aux princes ; dans le fond, tu ne recherches que les honneurs et les richesses. Pourquoi tout le monde me traite-t-il de brigand ? Kiu est un plus grand brigand que Kih. »
Le brigand Kih déraisonnait. A la vérité, Confucius ne dédaignait point les honneurs ; il aspirait à devenir le conseiller très consulté et très écouté des puissans de la terre ; c’est une faiblesse commune à tous les professeurs de morale, ils s’érigent volontiers en censeurs publics, en directeurs de consciences. Mais Confucius ne courtisait ni ne flattait les têtes couronnées ; il leur parlait de leurs devoirs plus que de leurs droits ; il enseignait à ses royales ouailles que les peuples n’ont pas été créés pour les princes, mais les princes pour les peuples, que le bonheur de leurs sujets devait être leur principal souci, que qui veut régner doit savoir commander à ses passions, que qui veut élever les autres doit travailler d’abord à sa propre éducation, que la maîtrise de soi-même est le plus beau de tous les gouvernemens. Il ramenait tout à la morale ; il avait peu de goût pour les dogmes, pour les subtilités de la théologie, pour les spéculations mystiques. Ce moraliste très utilitaire ne faisait étal que des sciences qui peuvent servir à quelque chose ; il mettait l’art de bien penser au service de l’art de bien vivre, et, ne s’occupant guère que des choses d’ici-bas, il laissait aux curieux, aux oisifs le soin de savoir ce qui se passe dans le ciel. Il était et ne voulait être qu’un professeur de vertu, et, par une destinée vraiment extraordinaire, ce professeur de vertu a exercé sur un immense empire une influence si décisive que le caractère national des Chinois et leurs institutions portent et porteront à jamais sa marque.