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CONFUCIUS
ET LA MORALE CHINOISE

Blancs, noirs ou jaunes, tous les peuples de la terre connaissent le juste et l’injuste, mais ils ne s’en font pas tous la même idée. Il n’en est point qui ne distinguent le bien du mal, les actions licites de celles qui ne le sont point ; mais ce que les uns admirent ou excusent encourt la réprobation des autres, et il est des vertus auxquelles ils n’attachent pas tous le même prix. En matière de morale, de devoirs, de délits ou de quasi-délits, chacun a ses opinions particulières et ce qu’on pourrait appeler son échelle des valeurs.

Un Européen est arrivé depuis peu dans une ville chinoise ; en traversant une place, il entend crier au voleur, et il remarque avec étonnement que personne ne s’avise de prêter main-forte au volé, que tout le monde s’empresse de déguerpir, de s’éclipser sans tourner la tête. Il s’informe et on lui apprend qu’un vrai Chinois se soucie peu de se brouiller avec les malfaiteurs, et moins encore d’avoir rien à démêler avec les tribunaux, que déposer en justice est une chose grave et un cas périlleux, que les témoins sont traités comme des accusés, qu’on les met sous les verrous, qu’on les rançonne, et que tel juge qui connaît le cœur humain leur fera donner la bastonnade pour leur inculquer l’amour de la vérité pure, de la vérité nue. L’Européen s’étonne et s’indigne ; le Chinois ne s’indigne ni ne s’étonne. C’est une coutume, un usage reçu ; discute-t-on les usages ? Ainsi va le monde ; mais il faut se faire des règles de conduite, et le sage fuit les juges et les sergens comme le lièvre fuit le chasseur : « Durant toute ta vie, dit un proverbe chinois, garde-toi des cours de justice avec autant de soin qu’après ta mort tu te garderas de l’enfer… Si jamais tu mets les pieds dans un prétoire, neuf buffles ne réussiront pas à t’en retirer… Quand