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LA JEUNESSE DE LECONTE DE LISLE

avait pour but d’encourager « les talens ignorés », de les faire connaître et de « dissiper l’apathie qui étouffe tout sentiment artistique ; émancipation de l’intelligence, tendances religieuses, appel à tous les jeunes et nobles esprits qui se sentent entraînés par l’espoir de faire quelque peu de bien, voilà notre but, disaient encore les fondateurs de La Variété[1]. Ils étaient trois qui s’étaient associés pour cette œuvre : N. Mille, Charles Bénézit et Charles Leconte de Lisle ; ils demandèrent à un professeur de la Faculté des Lettres, M. Alexandre Nicolas, de les présenter au public, et publièrent en tête de leur premier numéro, son Introduction, qui, avec quelques précautions oratoires de l’universitaire prudent pour le cas d’insuccès, louait l’initiative de « cette milice adolescente, de ces enfans de la Croisade. » Une ligne de conduite était aussi tracée à la jeune rédaction. « Les doctrines chrétiennes, disait M. Nicolas, forment l’immense dépôt de toutes les traditions spiritualistes de l’humanité, tandis que les croyances du paganisme étaient le honteux égout de toutes les passions et de toutes les absurdités matérialistes. » La Variété doit être, concluait le professeur, « un foyer domestique » où triomphera la pensée chrétienne, où se rallieront tous les arts « sortis du christianisme, » où les doctrines spiritualistes seront défendues. « Le paganisme vit encore au milieu de nous ; ses adversaires se doivent réunir, se nommer et combattre. Ah ! que cette flamme divine qui a brillé un instant aux mains de Platon, pour se rallumer avec tant de force dans celles des Apôtres, ne soit pas abandonnée par la jeunesse, dans cette terre chrétienne et catholique où s’est levé l’astre de Chateaubriand. »

Donc, adversaires du paganisme, ces jeunes gens voulaient combattre pour l’idée chrétienne. Ils chantaient, avant le cantique. Catholique et Breton toujours, et Chateaubriand, — astre à son déclin, — invoqué par eux, leur adressait quelques paroles d’encouragement, un peu désenchantées ; mais la jeunesse a des chaleurs d’illusion et d’enthousiasme où se fondent toutes les glaces de l’expérience et de l’âge. L’illustre vicomte écrivait[2] : « Si je n’avais pas entièrement renoncé aux lettres et à la politique, je vous demanderais, tout vieux que je suis, à combattre

  1. La collection rarissime de La Variété forme un volume de 396 pages. Le premier numéro parut en avril 1840 ; le douzième et dernier est du mois de mars 1841. Chaque numéro se compose de deux feuilles in-8o.
  2. La lettre est datée de Paris, 14 mai 1840.