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une autre année déjà perdue par les formalités du baccalauréat. M. Leconte de l’Isle écrivit à son fils une lettre attristée et sévère, pleine de reproches et de menaces ; M. Leconte de Dinan joignit une sèche mercuriale aux plaintes émues de Bourbon. Charles avait bon cœur, les rapports entre son oncle et lui ne s’étaient pas encore aigris ; il répondit à M. Louis Leconte :

« Mon cher oncle,

Je viens de recevoir une lettre qui m’a fait bien du mal, un mal d’autant plus profond que je sais, — que je savais, — le mériter. C’est sans doute avec une résolution sincère, inébranlable que je viens vous prier en toute humilité, — si l’on peut être humilié d’avouer franchement ses torts, et de revenir au sentier de son devoir, — de vouloir bien faire part à mon père de mes regrets, de mes remords même, et de ma décision arrêtée d’employer toute ma volonté à réparer par un travail continu le temps perdu dans de vaines espérances. Veuillez me pardonner aussi, mon cher oncle ; j’en ai besoin. J’ai bien mal reconnu votre affection et celle de ma tante. Mon indifférence a été un fait pour vous quoiqu’elle n’existât pas dans le fond de mon cœur. Pardonnez-moi donc ; dites-le-moi et vous me rendrez heureux de penser que toute amitié pour moi n’est pas éteinte en vous. Croyez-en ma sincérité, car ce ne sera pas la première fois que je vous aurai fait des promesses oubliées dans le tourbillon d’idées incessantes. Croyez-moi, je me réveille maintenant et la réalité m’apparaît, trop étrangère à mes yeux pour que je ne la reconnaisse pas. Les menaces de mon père ne peuvent exister pour moi ; je ne vois pas leur effet, mais leur cause. Je ne veux être à charge à personne, et je m’aperçois pour la première fois que, depuis ma naissance, je ne fais que cela. Eh bien ! si mes efforts sont vains, si je ne puis me réhabiliter dans le cœur de ceux qui m’aimaient, Dieu n’a pas fait en vain l’homme tout-puissant ! Mais voilà un sot orgueil, pardonnez-le-moi.

Ma résolution est irrévocablement prise. Que je ne sois qu’un vil lâche, si j’agis autrement que mon devoir ne me le commande.

Adieu, mon cher oncle, priez ma tante d’écrire quelques mots dans la réponse que vous aurez la bonté de m’envoyer.

Votre neveu bien amèrement repentant,
C. Leconte de L’Isle[1]. »


  1. Avec l’apostrophe, par exception.