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LA JEUNESSE DE LECONTE DE LISLE

sablement et que le résultat a été plus favorable que je ne le méritais. » Un peu plus loin, il ajoutait : « La ville de Rennes me plaît beaucoup, rien ne me manque, la bibliothèque, le théâtre, une chambre tranquille et point d’amis ! que demanderais-je de plus ? » Point d’amis ! Est-ce que déjà le pessimiste s’éveille ? Lisons plutôt : Et pas encore d’amis ! car on verra que les amitiés ou les camaraderies vinrent assez vite troubler le silence de cette chambre tranquille et le recueillement de cette fausse misanthropie.

Le 14 novembre, Charles Leconte de Lisle prenait sa première inscription de droit.

Cette première année (1838-1839) fut assez mal employée par l’étudiant, je veux dire au point de vue de ses études de droit. Il prit une seconde inscription en janvier 1839, mais son défaut d’assiduité aux cours lui avait fait perdre la première ; il perdit pour les mêmes motifs celle d’avril 1839 et ne crut pas devoir prendre celle de juillet. N’ayant pas le nombre d’inscriptions réglementaire, il ne put se présenter à l’examen de première année. Les admonestations de la Faculté ne lui avaient pas manqué. Le Recteur, son correspondant M. Liger, son oncle de Dinan, ses parens, furent prévenus des pénalités encourues.

Pour occuper les loisirs de son fils et lui donner quelques notions des affaires, M. Leconte de l’Isle avait demandé qu’il pût « travailler, une heure le matin et autant le soir, dans l’étude d’un avoué. » Il avait recommandé qu’il suivît un cours d’anatomie et de physiologie. « Ces connaissances sont de toute nécessité en médecine légale. J’ai rencontré en Cour d’assises, disait l’ancien chirurgien, trop de magistrats ignorans sur cette matière, incapables de concevoir nos explications, et conséquemment de fixer leur jugement. » Charles devait encore étudier « la botanique au printemps et la chimie dans les cours d’hiver. Quant aux leçons d’histoire, il en aime l’étude. Une faculté des lettres étant établie à Rennes, je ne doute pas qu’il ne se rende à ses conférences avec plaisir. » Comme distraction, « l’étude de la flûte et du paysage » est recommandée dans toutes les lettres, « ordonnée même. » Enfin, la fréquentation du monde est un des points importans sur lequel M. Leconte de l’Isle appuyait toujours.

Grande fut sa déception, quand il apprit, après un silence prolongé, l’indifférence que son fils marquait pour ses études, principales ou accessoires, la perte de ses inscriptions, l’impossibilité de passer le premier examen, tout ce gaspillage d’une année après