Charles Leconte de Lisle et par des souvenirs de famille, — m’ont permis de suivre, à Rennes, pendant près de six années[1], les traces du mauvais étudiant qui devait être un grand poète.
« Que nous serions heureux, si vous alliez l’aimer, Lucie et toi, écrivait M. Leconte de l’Isle à son parent. Mon Dieu ! si je pouvais deviner ce qu’il faudrait pour cela ! »
Par malheur, les deux cousins étaient loin d’avoir le même tempérament, et M. Leconte de Bourbon prêtait bien à tort à l’oncle de Dinan sa sensibilité paternelle. Son excuse était dans son ignorance : l’absence lointaine et prolongée avait entretenu l’illusion de ses souvenirs d’enfance ; il ne semble pas qu’il eût reçu depuis déjà longtemps des nouvelles de son cousin ; le besoin d’un correspondant pour son fils avait réveillé les relations de famille ; mais il avait, vis-à-vis de ces parens retrouvés, des ignorances avec des ardeurs de néophyte. Il écrivait : « Fais-moi connaître, je te prie, l’intérieur de ton ménage. Combien as-tu d’enfans ? Leur âge, leur nom ? Que nous nous connaissions avant de nous voir ![2] »
Fort estimé dans sa ville natale, dont il allait bientôt devenir maire, ayant la réputation méritée d’un homme d’affaires très honnête et très laborieux, M. Louis Leconte, s’il faut le juger par sa correspondance, était d’une nature un peu sèche, d’une correction bourgeoise un peu étroite, de principes un peu durs. Il était peu fait, lui, l’avoué pointilleux d’une petite ville de province, pour comprendre et pour diriger un jeune homme élevé librement à Bourbon et déjà atteint de poésie, un enfant gâté, s’il faut
- ↑ Six années et non pas trois, comme l’a écrit Jean Dornis, pourtant d’après les notes du maître, ni quatre, selon M. Fernand Calmettes. Ce séjour à Rennes n’a été étudié encore par aucun des biographes de Leconte de Lisle. M. Calmettes n’en méconnaît pas l’importance, puisqu’il écrit que Leconte de Lisle, pendant ces années, fit « une étude approfondie du grec, lut beaucoup d’histoire, visita la Bretagne, apprit l’italien. Il préparait ses forces ; c’est son premier temps de germination. » C’est à peu près tout ce qu’on a écrit jusqu’ici sur cette période de la vie du maître, et c’est cette lacune que notre étude a pour objet de combler.
- ↑ Le rêve du retour au pays natal apparaît dès cette première lettre. M. Leconte de l’Isle se considérait comme un exilé sur la terre de Bourbon. Il avait placé dans sa maison, « de manière à l’avoir toujours sous les yeux, » une vue de Dinan que lui avait envoyée M. Louis Leconte. « Je suis fort aise, lui écrivait-il, de la revoir tous les jours, encore qu’elle soit bien gravée dans mon souvenir. » Plus tard, il priait son cousin de lui « envoyer toutes les vues de Dinan du même auteur. » Son projet bien arrêté était de rentrer au pays ; il avait déjà fait choix du capitaine et du bateau qui devaient le ramener. « Les 4 000 lieues qui nous séparent ne m’enlèvent rien de mon affection pour ma terre natale. »