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agissant si hâtivement. Tel est le récit qu’on trouve dans les Mémoires de Richelieu et dans ceux de Déagent ; il est confirmé par la correspondance manuscrite, et l’on trouve dans les papiers de Richelieu la lettre par laquelle le marquis s’excuse d’avoir induit son frère en erreur : « Je suis au désespoir de vous avoir donné l’avis de ce que je vous ai mandé, bien qu’il fût vrai et que je l’eusse appris de M. de Châteauneuf qui me dit qu’il avait été présent à la résolution qui en fut prise. Cela m’ayant été confirmé par une personne de plus grande qualité et par plusieurs autres encore, je vous le mandais aussitôt. Mais depuis, le changement des choses ayant fait changer celle-là qui était bien vraie, excusez mon affection et la passion que j’ai à votre service. » Tous ces faits concordent avec tant de précision qu’on ne peut les mettre en doute. Cependant il est assez curieux que la lettre même qui détermina le départ de l’évêque ne se soit pas retrouvée jusqu’ici.

Quels furent les sentimens de la Reine en apprenant cette nouvelle et en assistant à ce brusque départ ? Nous les connaissons par le récit de son premier médecin Delorme, et nous savons qu’elle fut malade de fureur. Nous avons aussi les lettres qu’elle écrivit au Roi et à Luynes. C’est le rugissement d’une lionne blessée : « Si la qualité de mère a du pouvoir à l’endroit d’un fils… je vous supplie de tout mon cœur de ne me dénier pas la continuation de la faveur que vous m’aviez faite de retenir l’évêque de Luçon près de moi. Ne me faites pas faire des affronts que j’aimerais mieux mourir que de les endurer… ce que je désire avec telle passion, qu’après le bien de votre service, je ne désire autre chose en ce monde. » A Luynes : « Après avoir mis le Roi au monde, l’avoir élevé, avoir travaillé sept ans à son établissement, je suis réduite à voir mes ennemis, même mes domestiques, me faire tous les jours des affronts… Je deviens la fable du peuple… Éloigner l’évêque de Luçon, c’est témoigner qu’on ne me traite plus en mère, mais en esclave… On veut donc me forcer à quitter le royaume. Puisque le Roi a confiance en vous, c’est à vous de lui remontrer qu’il ne doit pas craindre de déplaire à quelques particuliers pour donner contentement à sa mère. J’envoie l’évêque de Béziers vers le Roi. Il vous dira le reste. »

Pendant les quelques jours qui suivirent le départ de l’évêque de Luçon pour Richelieu, la petite cour de Blois « fut tellement enragée, — ce sont les expressions de notre ami Tantucci, — que