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à son nom celui de la princesse, laissent assez prévoir le parti que se disposent à prendre ces amoureux septuagénaires. Déjà, en 1795, lors de la mort d’Honoré III, le bruit du mariage a couru dans l’armée condéenne[1]. La nouvelle était fausse. Si, comme il est à croire, le projet fut dès lors conçu, des motifs politiques en différèrent l’exécution pendant bien des années. La chose traîna même si longtemps que, lorsqu’elle arriva, personne n’y songeait plus, et que ce fut, à la Cour et dans le public, une surprise générale. Les scrupules religieux de Mme de Monaco sont le grand motif qu’elle invoque pour triompher des hésitations du prince et secouer sa longue inertie. Le visible chagrin dont elle souffre, la crainte de voir se rompre une intimité de quarante ans, le souvenir ineffaçable de son dévouement et de ses sacrifices[2], ne permettent pas à Condé d’ajourner davantage la satisfaction qu’elle implore. En décembre 1808, sa résolution est prise, et la date est fixée. Mais son orgueil redoute les sourires railleurs du public, les commentaires désobligeans sur cette réparation tardive. Aussi tous les préparatifs se font-ils « dans le plus grand secret. » Ses enfans eux-mêmes, écrit-il, ne devront rien savoir « qu’une fois la cérémonie faite. »

La lettre qu’il adresse au roi[3] pour obtenir son consentement est d’un ton noble et digne ; il en faut citer des extraits : « J’ai une permission à demander à Votre Majesté ; j’ose espérer qu’elle me l’accordera sans peine : c’est de me permettre d’épouser la veuve d’un prince souverain, duc et pair de votre royaume, la princesse douairière de Monaco. Notre bonheur mutuel y est attaché ; mais il n’échappera pas à Votre Majesté que cette union est trop convenable pour que les parties contractantes eussent l’air d’en rougir, en tenant le mariage secret, et en laissant croire que Votre Majesté n’y a consenti qu’à regret… » Il demande en conséquence une lettre publique du roi accordant à sa future femme le rang de princesse du sang, avec tous les honneurs qui y sont attachés. « Si Votre Majesté, ajoute-t-il, fait notre bonheur, j’ai l’honneur de la prévenir que notre intention, — la seule qui convienne à notre âge, — est que le mariage se fasse dans une chambre, et sans la plus petite cérémonie d’invitation. Tout

  1. Voir la lettre du duc d’Enghien, citée dans la Revue des Deux Mondes du 15 février 1898 : la Dernière des Condé.
  2. Lettres de Condé. (Arch. de Chantilly.)
  3. 17 décembre 1808. Ibidem.