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— le prince de Condé. Loin du monde de la Cour et des pernicieuses influences, il redevient, dans cette intimité champêtre, le tendre amoureux d’autrefois, fidèle, dévoué, attentif. Il s’intéresse aux choses rustiques avec simplicité, dirige les ouvriers, surveille plantations et cultures, apporte à chaque visite, pour embellir l’habitation, « des merveilles » en estampes, en livres, en tableaux[1]. Ses lettres, lorsqu’il s’absente, sont plus fréquentes, plus longues, plus confiantes que jadis. Elles content à son amie toutes les nouvelles du jour, la tiennent soigneusement au courant de tout ce qui la touche. Elles expriment — ce qui plaît davantage à son cœur — un attachement chaque année plus sérieux et plus fort ; il trouve pour l’en convaincre des accens pénétrans : « Mon cher amour, je vous adore, mon premier besoin est de vous le dire… Je meurs d’impatience de vous voir, et je vous aime plus que jamais ; » c’est le refrain de toutes ses lettres. Il la rassure délicatement contre un retour possible aux légèretés passées : « Vous me parlez de galanteries ; je vous assure que j’en suis fort loin, et bien revenu de tout cela. » Et ce n’est jamais sans regret qu’il quitte cette chère correspondance : « J’étais si bien, là, avec ma plume, mon papier devant moi, et vous dans ma tête et mon cœur[2] ! » Ce langage n’est point feint, ces assurances sont sincères. Le temps, qui brise ou fortifie, exerce ici son action bienfaisante. Sous sa main souple et forte, les angles s’atténuent, les aspérités s’aplanissent, les nuances, autrefois disparates, se fondent et s’harmonisent. Aux vives ardeurs de la jeunesse, à la passion orageuse de l’âge mûr, mêlée de combats et de larmes, succède, par une pente insensible, cette chose rare et charmante, la tendresse douce et grave d’un couple vieillissant, pacifiée, épurée, ennoblie par l’âge et la durée, faite de sécurité, de confiance et de gratitude, intimité sans crime où les âmes seules ont part, fleur d’automne au parfum délicat et subtil, plus intense que l’amitié, moins troublant que l’amour. Pour parfaire et couronner l’œuvre, une seule chose manque encore, l’épreuve décisive du malheur, supporté en commun, allégé par l’effort d’un dévouement mutuel. Ce complément cruel et nécessaire, la Révolution qui s’approche se chargera de le fournir ; et les grandes catastrophes vont susciter les grandes vertus.

  1. Correspondance du prince de Condé avec la princesse de Monaco. (Arch. de Beauvais.)
  2. Lettres de 1787 et 1788. Ibidem.