Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/611

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les prières et les larmes de la marquise de Brignole amenèrent, une fois encore, sinon un raccommodement, du moins une courte trêve. La marquise, de son palais de Gênes, assiste avec désespoir à la rupture d’une union qu’elle a cimentée de ses mains. Eperdue devant la ruine imminente de son œuvre, elle va de l’un à l’autre, donne tort successivement à chacun des époux[1], adjure tantôt sa fille et tantôt son « aimable fils » d’avoir pitié de sa vieillesse, voit dans le malheur qui s’apprête « un châtiment du Ciel pour ses propres péchés. » Marie-Catherine, émue, cède à de telles instances. Elle revient à Paris, reprend sa lourde chaîne, fait provision de patience ; et cette résignation ne sert qu’à provoquer des exigences nouvelles. Le prince l’informe un jour des déterminations qu’il a prises ; il va quitter la France sans esprit de retour, emmener sa femme à Monaco ; elle ne franchira plus désormais les limites de la principauté. La pauvre créature s’affole devant cette perspective ; elle se voit livrée sans défense « au despotisme d’un mari qui, souverain du pays, aurait sur elle l’autorité la plus absolue ; » le palais orgueilleux qui surmonte le rocher de Monaco ne serait pour elle qu’ « une prison, » en attendant sans doute qu’il devînt « un tombeau. » Tout plutôt que courir ce risque ! Sa résolution est irrévocable : princesse étrangère, elle fait appel aux juges de France ; elle remet sous leur protection « et sa liberté et sa vie[2]. »


VI

« Ma femme, écrit le prince de Monaco, est sortie de ma maison le 26 juillet 1770, à onze heures du matin. Elle n’est point rentrée pour dîner, et j’appris le soir à huit heures qu’elle s’était retirée dans un couvent de Bellechasse. Le lendemain, elle se transporta dans celui de l’Assomption, où elle est restée jusqu’au

  1. « Ma fille n’est point légère, écrit la marquise à son gendre : elle vous aimait solidement. Découvrez-moi votre cœur ; si vous trouvez dans sa conduite quelque chose à réformer, confiez-le-moi. Mais, vous, n’avez-vous rien à vous reprocher ? Ce que vous me mandez me perce le cœur… Aurez-vous le courage d’ajouter à l’horreur qui m’accable, vous, mon aimable fils ? N’empoisonnez pas le peu de jours qui me restent à vivre ! » — Le marquis de Brignole était mort dans l’intervalle. Ses dernières lettres à sa fille témoignent de ses angoisses à son sujet : « J’ai tout lieu de craindre que vous ne soyez pas heureuse. Le silence que vous gardez me fait trembler que ce que j’ai toujours appréhendé de M. de Monaco ne fût vrai. »
  2. Première plainte de la princesse de Monaco. (Arch. nationales.)