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d’Ancre, et on le fait trembler sous la menace des plus perfides et des plus dangereuses accusations.

Il tient tête au début. Il a réponse à tout : « Quant aux bruits qu’on fait courir des brouilleries et menées qui se traitent, je vous supplie de croire, quoi qu’on die, que jamais on n’aura but ni dessein que le contentement du Roi, et si la chose arrivoit autrement, vous savez bien ce que je vous ai mandé… » « Quant à celui qui parle par ouï-dire de 123 (Richelieu) quiconque qu’il soit, c’est un imposteur qu’il fera rougir, sans savoir de quoi il est question, quand on voudra… » « Quant aux intelligences d’Espagne, je n’ai rien à vous dire, sinon que je suis d’avis qu’on dit que 123 traite avec le Grand Turc parce qu’il a communiqué avec son Chaours qui est à Paris… La Reine a établi ledit 123 en sa maison aux charges qu’il a plu au Roi d’agréer ; ce n’est pas comme vous pouvez croire, au contentement de tout le monde, particulièrement de 148 (Ruccellaï), qui, ayant perdu tous ses artifices de deçà (à Blois) ne les épargnera pas de de la (à Paris)… Mais dormez en repos et sachez que ce que je vous mande est si vrai que rien ne le peut être davantage. Je vous prie de continuer les assurances de mon affection au service de CII (du Roi) et de 158 (de Luynes), à qui je me fie comme vous savez… » Il se fie, dit-il, mais on ne se fie pas à lui. Et les lettres de Déagent le lui font sentir d’abord, le lui déclarent bientôt.

Un mois ne s’est pas écoulé et il voit son double jeu percé. Sa situation est intenable. De partout, des nouvelles inquiétantes lui arrivent. On commence à le juger sévèrement. Bentivoglio, qui est public dans la circonstance, écrit le 23 mai : « Il se confirme que Luçon a reçu l’ordre de se retirer ; il était déjà en dissentiment avec la Reine Mère, car il s’était chargé de l’épier et de rapporter toutes ses actions au Roi. Le pauvre homme a bien perdu de sa réputation et de son autorité dans tous ces événemens. » Le 6 juin, Richelieu reçoit de Luynes une lettre pleine de réticences où, parmi les formules de politesse excessives, il lit l’insolence d’une faveur qui se sent désormais assurée et le soupçon permanent d’une inquiétude que rien ne désarme.

Alors, il perd subitement courage et, cerné de toutes parts, trompé par tous, lui si fin et si fait pour tromper les autres, pris au piège de sa propre habileté, il trouve, dans une résolution soudaine, la ressource dernière qui va le tirer de cette impasse. Il écrit à Déagent : « Je suis le plus malheureux de tous les