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Traitée en enfant par sa mère, en jouet de luxe par son mari, elle prend maintenant conscience et possession d’elle-même. Sa personnalité se dégage, ses goûts se forment, sa volonté s’affirme ; et lorsque enfin, dans les derniers jours de 1760, le prince de Monaco la mande en France auprès de lui[1], ce n’est plus une timide et novice écolière, mais une femme véritable qu’il voit débarquer à Paris. La surprise qu’il éprouve de cette métamorphose tournera bientôt en dépit : avec un homme de cette trempe, du dépit à la violence, le pas est aisément franchi.

C’est aux eaux de Plombières, le 23 novembre de l’année suivante, qu’eut lieu la « présentation » officielle de la princesse de Monaco. Chacun sait l’importance qu’on attachait alors à cette cérémonie. Les yeux de toute la Cour, convoquée pour ce spectacle, se fixaient sur la femme présentée, épiant malignement un geste maladroit, une parole déplacée, un manquement à l’étiquette, une faute dans l’ajustement. Toute une réputation de beauté, de goût, d’élégance, dépendait de cette courte et difficile épreuve. Ce fut pour Marie-Catherine une journée de triomphe. Belle à miracle, modeste sans embarras, assurée sans hauteur, elle lut dans tous les regards les signes certains du succès : la bienveillance souriante du roi, l’admiration des hommes, l’envie de toutes les femmes. Chacun dès ce moment s’empressa autour d’elle ; de cette cour, la plus belle du monde, elle fut une des plus belles parures ; une troupe d’adorateurs escorta tous ses pas. L’un d’eux, parmi cette foule nombreuse, se fit bientôt remarquer, non seulement par son rang qui l’élevait fort au-dessus des autres, mais par sa vive passion, sa constance, son assiduité, et ce n’était rien moins qu’un prince du sang royal, Louis-Joseph de Bourbon-Condé.

Veuf depuis huit mois[2], avec deux enfans en bas âge, le prince de Condé comptait vingt-cinq ans à peine. Il arrivait de l’armée, et, pour la première fois depuis son deuil, venait de reparaître à la Cour. Les talens qu’il avait montrés dans les premières campagnes de la guerre de Sept ans lui valaient, à cette époque, une popularité, dont il n’était pas indigne. Malgré son

  1. La princesse, en allant rejoindre son mari, laissait son fils à ses parens : « Je n’ai pas encore eu le courage, écrit-elle, d’annoncer mon départ à mon père. Maman aura moins de chagrin : je crois que mon enfant a pris la place que j’occupais dans son cœur. »
  2. La princesse de Condé, née Rohan-Soubise, était morte le s’mars 1760, après sept ans de mariage.