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bien encore à faire « de la très bonne musique. » Les exercices de dévotion tiennent une place importante : « Si je ne deviens pas sainte dans ce pays-ci, il y aura bien du malheur. Car, outre que j’entends tous les jours une messe fort longue, nous disons ensuite un chapelet, et une telle quantité d’oraisons que cela dure deux heures. — Je ne sais trop, ajoute-t-elle avec malice, si maman serait aussi dévote, au cas que papa ne fût pas là ! » Les soins donnés à son enfant occupent fort la jeune femme ; elle est fière de son « chef-d’œuvre, » et cette admiration s’exprime avec une naïveté touchante : « Il est en vérité toujours plus charmant ! s’écrie-t-elle. Il est fait à peindre, et la tête m’en tourne. Ce matin, nu dans l’eau, il était de toute beauté, et ressemblait beaucoup aux portraits d’enfans de Van Dyck… Il embrasse son cher papa de Monaco, car c’est ainsi qu’il vous appelle. Vous l’aimeriez à la folie, si vous le connaissiez. » Peu de visiteurs étrangers traversent cette paisible existence, la jalousie du prince peut se rassurer sur ce point. A peine quelques intimes, le soir, pour faire le pharaon : « Nous y jouons tous les soirs ; il y a cent livres en banque ; on met deux sols par carte ; mais ceux qui aiment le jeu augmentent le chiffre sans s’en apercevoir, et maman est du nombre… Elle perd depuis quelques jours assez honnêtement, ce qui la met de fort mauvaise humeur. Pour moi, en cinq jours, j’ai perdu trente francs, quoique vous soyez persuadé que je raffole du jeu, et que maman assure qu’elle le déteste. »

Dans ce familier babillage se glissent parfois quelques propos d’un ordre plus sérieux, des conseils politiques, qui témoignent d’un esprit pratique et judicieux. Elle recommande à son époux d’user avec Choiseul de prudence et de ménagemens, de « le cultiver avec soin sans se fier aucunement à lui, » car nul homme, assure-t-elle, n’est moins d’accord avec son apparence. La meilleure marche à suivre est de le prendre par l’intérêt, de lui montrer l’utilité d’avoir à Monaco « un prince de la plus sûre confiance, et qui soit pour la France un ami véritable. » Il faut surtout, dit-elle, « qu’il nous soutienne toujours contre le roi de Sardaigne ; car, si ce dernier devenait jamais le maître de nos côtes, il empêcherait le commerce de France, et serait une barrière pour les armées de terre et de mer. C’est ce qu’il convient de persuader au ministre. » Que l’on ne s’étonne pas de ce nouveau langage. Ces quelques mois de recueillement ont achevé de mûrir l’âme de Marie-Catherine et de donner l’essor à son intelligence.