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les détails de la cérémonie. En sa qualité de souverain, Honoré se dispensa de se rendre lui-même à Gênes. Un de ses gentilshommes, Honoré de Monléon, fut chargé de le représenter, tandis que son cousin, Don Marcello Durazzo, épousait par procuration Mlle de Brignole[1]. Puis la jeune épousée, accompagnée de ses parens et d’une suite nombreuse, prit place sur une « galère » magnifiquement parée. Une flottille de la République l’escorta en grande pompe jusqu’au point limitrophe entre les eaux de Gênes et celles de Monaco.

Jusque-là tout marchait à souhait. Un incident survint qui pensa tout gâter. Lorsque l’on fut en vue du port de Monaco, Mme de Brignole, fort entichée de sa naissance, prétendit que le prince vînt en personne chercher sa femme sur le vaisseau qui la portait. Refus péremptoire d’Honoré, à qui sa dignité interdit, déclare-t-il, de « s’avancer au-delà du quai de débarquement. » Indignation de la marquise, qui, dans ces conditions, s’oppose au départ de sa fille. Et le conflit engendre un débat passionné, des pourparlers interminables, un mécontentement général dans la flottille génoise, qui remet à la voile et se retire à Bordighera. Pendant ce grave discord, le temps était devenu fort mauvais ; et la triste fiancée, violemment éprouvée par la mer, méditait avec amertume, à bord de son navire ballotté par les flots, sur l’inconvénient des grandeurs et la cruauté de l’étiquette[2]. La discussion dura huit jours, et faillit un moment entraîner une rupture complète. Enfin le comte Balbi, frère de Mme de Brignole, dépêché en ambassadeur, s’avisa pour tout concilier d’un biais ingénieux. Il fit construire un pont, de la galère génoise au quai de Monaco. Sur ce fragile échafaudage, les deux époux, suivis de leurs cortèges, s’avancèrent, à distance égale, au-devant l’un de l’autre. Le cérémonial fut sauvé, la vanité trouva son compte ; et si l’amour ne fut pas de la fête, c’est qu’on avait sans doute omis de le prier.


IV

Les débuts du ménage furent toutefois plus heureux que ces préliminaires ne l’eussent fait présager. A défaut de passion véritable, peu de femmes, dans cette première période, refusent à

  1. Monaco, par G. Saige, 1897.
  2. Pièces du procès au Parlement de Paris. (Arch. nationales.)