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lourdes. J’ai sous les yeux les registres de ses dépenses et sa correspondance d’affaires. Tout un conseil privé était employé à régler le détail considérable de cette administration. Ces registres nous tiennent également au courant de la vie intime et étroite de la petite cour, resserrée dans l’élégant et somptueux château que tant de scènes historiques antérieures préparaient à de nouveaux drames.

De beaucoup, le personnage le plus important est notre héros, l’évêque de Luçon. Il n’a pas seulement le rang et le pas, la qualité de chef du conseil de la Reine ; il a la confiance, l’étroite intimité et, dans les chambres du haut, où personne ne pénètre, les longues conversations en tête à tête que personne n’entend. Que se disent-ils, la femme et le prêtre ? Personne n’en sait rien ; personne ne le saura jamais. Quand ils descendent le soir, à la table où l’on dîne en commun, tout le monde les suit des yeux.

La compagne perpétuelle de la Reine, depuis que la Galigaï n’est plus là, c’est sa dame d’honneur, une femme éminente, d’excellente noblesse, de beaucoup d’esprit et de grande sagesse, Mme de Guercheville, amie fidèle de Richelieu. Sa présence auprès de la Reine met, dans cette vie agitée de passions violentes, un calme, une douceur, une tranquillité rythmée, un peu courte, à la française. Tant que la reine l’aura près d’elle, elle sera gardée contre bien des folies. Le château abrite encore le principal écuyer, M. de Brescieux, ami intermittent de l’évêque de Luçon ; le secrétaire des commandemens, M. de Villesavin, adversaire déclaré ; un maître des requêtes, frère de Barbin ; divers familiers, Mazoyer, Messi, un médecin, vieux et fidèle serviteur, Delorme, le chirurgien Ménard, le valet de chambre Roger. Puis les Italiens en nombre : Ruccellaï qui, de temps en temps, vient de Paris voir d’où le vent souffle ; un camarade à lui, de haute situation et de quelque mérite, Bonzi, évêque de Béziers, qui, comme la plupart de ses compatriotes, ménage les deux camps et ne serait pas fâché d’éliminer l’autre évêque ; puis les subalternes, le chapelain Polidoro Genomini et son neveu Francesco, candidat à la survivance, l’apothicaire Codoni, le tailleur Zocolli, et, brochant sur le tout, allant et venant de Paris à Blois et de Blois à Paris, l’éternel Tantucci.

Richelieu arrive à Blois, le 7 mai. Aussitôt une correspondance active s’établit entre lui et le favori, par l’intermédiaire de Déagent. Le 8, dès le lendemain, Richelieu écrit directement à