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petite crique où se berce une barque à l’ancre sous d’épais ombrages retombans. On placerait ici une idylle plutôt qu’un poème épique, et cependant le minute-man nous dit de sa voix de bronze :


Ici, près de ce pont agreste, — l’étendard s’est ouvert à la brise d’avril, — ici les fermiers se rangèrent en bataille, — et tirèrent le coup de feu qu’entendit l’univers.


Nous revenons sur nos pas et les humbles reliques de la Révolution s’offrent à nous dans le Cabinet d’Antiquités, la lanterne par exemple de Paul Révère, qui joua un si grand rôle à la veille de la bataille de Lexington, en brillant, signal convenu, au sommet d’un clocher. Ce petit musée est dans la même rue que l’église unitarienne, l’église blanche qu’Emerson fréquentait de nouveau chaque dimanche en sa vieillesse. Et il ne se déjugeait pas pour cela, n’ayant jamais voulu attaquer aucun culte, aucune forme, mais seulement éveiller les âmes à un sentiment plus vif de ce qu’elles croient, en écartant ce qui peut obscurcir ou abaisser leur croyance. Ses obsèques y furent célébrées le 30 avril 1882 au milieu du deuil général. Nous nous les représentans, si simples, plus solennelles cependant que celles d’un roi, tout en marchant, vers le Sleepy hollow (val dormant). Le Sleepy hollow est digne du nom qu’il a emprunté à une légende. Des accidens de terrain très proches les uns des autres contribuent à la beauté de cette espèce de bois sacré où les essences d’arbres les plus diverses entremêlent les nuances délicates de leur feuillage au-dessus des tombes, qui ce jour-là étaient fleuries comme elles le sont chez nous le jour des Morts. C’est qu’en effet le jour des Morts, à une date différente, il est vrai, est fêté depuis peu dans l’Amérique protestante.

On vous dira que cette façon d’honorer les morts n’implique pas que l’on prie pour eux ; mais en réalité il y a là un retour fatal aux traditions, un irrésistible besoin ressenti par tous les vivans, à quelque religion qu’ils appartiennent, de communier avec les disparus qui leur furent chers. La décoration des tombes de soldats servit de prétexte, puis il arriva que les fleurs réservées d’abord aux défenseurs de la patrie furent offertes à d’autres défunts, de sorte qu’au 1er juin les cimetières d’Amérique ressemblent beaucoup à ce que sont les nôtres le 2 novembre. Les puritains, — il suffit pour s’en rendre compte de voir les lignes uniformes et serrées de tables d’ardoise plantées debout dans le