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commun avec le chasselas, on tourne Merriam’s Corner, le coin de route où les Anglais battirent en retraite (1775), et nous abordons le Concord historique. Voilà le vieux presbytère (Old Manse) bâti pour le révérend William Emerson. Juste en face, une taverne peinte en rouge conserve la trace des balles tirées dans la journée du 17 avril. Devant elle, une pierre indique l’endroit où tomba mortellement blessé le premier soldat anglais. Ces souvenirs de révolte et de guerre ajoutent à l’impression que produit la demeure où Ralph Waldo Emerson vécut son enfance pensive, où plus tard il revint auprès des Ripley, derniers habitans du logis, écrire l’essai « de la Nature, » où à son tour se développa le génie pessimiste de Hawthorne, si différent sous des influences semblables. Au bout de l’allée plantée d’arbres qui le sépare de la route, le vieux presbytère aux tons d’argent, dans un cadre de sapins noirs et de lianes échevelées, est ce que j’ai vu de plus mélancolique parmi ces antiquités bizarres, les maisons de planches de la période coloniale. Alentour, le paysage présente toujours l’étendue de prairies, les buttes couvertes de chênes et de hêtres où Emerson nous raconte qu’il errait avec ses frères en récitant des vers ou en se représentant les héros du passé. Nous suivons la route sur laquelle son grand-père, le pasteur de Concord, vit, de la petite fenêtre d’un pignon, les fermiers, ses paroissiens, mettre en déroute les habits rouges ; puis nous atteignons le Monument, la pierre votive dressée « en signe de reconnaissance à Dieu et en l’honneur de la liberté. »

Nous passons le pont sur la rivière sinueuse et claire qui coule à pleins bords dans le gazon, pour regarder de près la statue de Daniel French représentant le minute-man, un milicien de ce détachement qui, toujours sur le qui-vive, devait être prêt à la minute. C’est un jeune fermier de Concord en hautes guêtres et chapeau rond ; il vient de saisir son fusil ; son habit est posé à côté de lui sur la charrue qu’il abandonne. Il y en eut 450 qui se battirent ici comme de vieux soldats et qui, sans ordre ni discipline, harcelèrent ensuite jusqu’à Boston les troupes anglaises.

Sur certains sites, on croit voir planer encore l’ombre d’un grand événement ; tel n’est pas le pont du Concord. Jamais campagne plus riante ne parut ignorer les violences de la guerre. Les eaux abondantes et rapides viennent, après le débordement annuel, de rentrer dans leur lit, laissant les prairies tout en fleur fit d’une éclatante verdure. Des iris, des glaïeuls remplissent la