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Il faut que l’influence de l’homme sur la destinée soit bien forte, pour que la suite des événemens les plus considérables de l’histoire d’un grand peuple ait pu se trouver faussée du fait des ambitions d’un cadet de Provence, habile homme et bon oiselier. Il en fut ainsi cependant, et c’est pourquoi la responsabilité du choix des hommes pèse si lourdement sur la tête des chefs d’État et devient fatalement leur plus haut devoir. Mais je ne vois pas que Luynes se soit jamais fait ces réflexions, et son historien lui est encore resté fidèle sur ce point.

Au début, le nouveau maître de la France fut très entouré. Tout ce que les violences de Concini avaient éloigné était naturellement accouru autour de lui, aussitôt après l’assassinat. Il y avait une curée à se partager ; tous les appétits avaient fait cortège à l’hallali, et on s’était distribué les charges, les gouvernemens, les places, l’argent et les meubles du maréchal d’Ancre. Les Grands révoltés avaient quitté leurs armées, sur un signe du Roi, pour reprendre leur place à la cour. Seul, le perspicace Bouillon s’était contenté d’envoyer saluer Louis XIII, disant que la taverne était toujours la même, le bouchon seul étant changé.

Le Conseil avait été reconstitué rapidement avec les anciens ministres, Sillery, Villeroy, Jeannin, du Vair : noms glorieux et têtes expérimentées. Mais ce personnel un peu défraîchi aurait-il l’autorité suffisante, soit auprès du pays, soit auprès du jeune et entreprenant favori ? Dans sa coterie intime, il y avait, d’abord ses deux frères, Chaulnes et Chevreuse, qui ne furent jamais, pour lui, que des mannequins à manteaux de ducs et pairs. J’en trouve quelques autres qui paraissent gens d’esprit et de main : un Modène, ayant avec lui quelque cousinage, gentilhomme du Pape, personnage remuant et actif ; un Déagent, qui eût pu tenir des emplois considérables ; il avait du sérieux, du savoir-faire et de la décision ; souvent mêlé aux grandes affaires, il paraît les avoir comprises. Pourtant il échoua. Il avait probablement dans l’esprit quelque maladresse qui venait de faute de cœur. Car, après s’être beaucoup remué, il finit par se faire mettre à la Bastille avec la réputation d’avoir trahi tous ceux qu’il avait servis.

On trouvait, en outre, à mi-chemin, entre Luynes et la reine Mario de Médicis, quelques-unes de ces réjouissantes figures d’Italiens qui traversent l’histoire de ce temps comme des personnages de la Commedia dell’ Arte, et qui, héritiers déchus des grands