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jeune roi. Courtisan délié et attentif, rien ne lui échappait du travail de la cour. Par ses deux frères et par ses amis, il savait être toujours exactement renseigné. Et c’est une science qui n’est pas moins précieuse à la politique qu’à l’intrigue.

Il sortait de l’intrigue et il arrivait à la politique. La faveur lui avait donné le pouvoir : favori clairvoyant et résolu, il avait, dès l’abord, compris qu’il ne pouvait compter que sur lui-même et qu’il devait jouer en personne sa partie et celle du royaume, puisque, par la volonté du Roi, elles étaient liées désormais. Il avait pris résolument le jeu en main. Comment, maintenant, allait-il s’en tirer ?

Intelligent sans doute, et vif d’esprit ; du sang-froid, du coup d’œil, de l’entregent. En bon Méridional que rien n’étonne, apte à tout saisir d’un coup d’œil circulaire et froid ; discret, secret, diligent sinon appliqué, toujours debout, toujours en garde ; avec ce qu’il faut de vanité pour vouloir réussir et ce qu’il faut d’esprit de conduite pour ne pas dire comment ; mais au vrai — et, sur ce point, tous les contemporains sont d’accord — sans fond, sans âme et sans suite, léger, timide et craintif comme le lièvre dont le parcours faisait, jadis, tout le domaine paternel ; l’âme toujours en peine, sans plaisir et sans joie ; et, dans sa douceur sucrée, un levain tournant vite à l’aigreur et à la haine. Comme tous les grands favoris, d’une ambition inassouvissable, pris qu’ils sont de la soif du risque et du va-tout, perdant le pied au fur et à mesure qu’ils montent, et se hâtant, hors d’haleine, vers cette solitude des sommets où ce genre de parvenus dédaignent les secours et les avis parce qu’ils croient que leur capacité s’est élevée en même temps que leur fortune.

Un brillant historien contemporain, Victor Cousin, s’est efforcé de découvrir, dans le duc de Luynes, l’étoffe d’un grand homme d’État méconnu, et une sorte de précurseur de Richelieu. La thèse n’est qu’un très intéressant et très érudit paradoxe. On s’aperçoit aisément, par l’étude attentive des événemens qui ont signalé son administration, que la politique de Luynes a été toute personnelle, courte, versatile, inspirée par la circonstance présente et sans aucune vue sur l’avenir. En réfléchissant sur ce qui s’est passé durant les années 1620 et 1621, on est obligé de reconnaître que ç’a été réellement un malheur pour la France que ce personnage ait été aux affaires à un des momens critiques de l’histoire européenne.