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aussi pour partie dans ce défaut de prévoyance et empêchent le nombre des mutualistes d’aller en se développant aussi rapidement qu’on le voudrait. Beaucoup ne font dans les sociétés de secours mutuels qu’un court passage. L’une cessera de payer sa cotisation parce que, s’étant trouvée sans place, la société qu’elle considérait comme un bureau de placement n’a pas réussi à lui en procurer une sur-le-champ ; l’autre, parce qu’une bouteille d’eau de Vichy par jour ne lui aura pas été accordée. Un atelier tout entier se retirera parce qu’une paire de lunettes aura été refusée à une camarade. D’autres n’ont figuré en quelque sorte que nommément sur la liste de la société. Le patron paye la cotisation de la première année. Quand la cotisation est retombée à leur charge, elles ont refusé de l’acquitter. Enfin, un grand nombre, ayant payé leur cotisation pendant deux ou trois ans, n’ayant jamais été malades, et se sentant bien portantes, trouvent qu’il est inutile de prélever plus longtemps sur leurs menus plaisirs cette prime d’assurance, ce qui ne laisse comme participantes au compte de la société que les souffreteuses. Le personnel des ouvrières mutualistes n’est donc pas seulement très restreint : il est très mobile, et on peut dire que dans ce jeune monde la prévoyance est la très rare exception. Ce qu’il faudrait pour attirer les jeunes filles vers les sociétés de secours mutuels (je dis à dessein les jeunes filles, car qui n’a pas pris des habitudes de prévoyance à vingt ans n’en prendra guère plus tard), ce serait leur assurer d’autres avantages que les soins en cas de maladie et les frais funéraires. Quand on est très jeune, on ne pense guère ni à la maladie, ni à la mort. Dans cet ordre d’idées, une création très heureuse a été la caisse de prêts gratuits.

L’idée de fonder, pour les ouvrières qui sont dans un embarras momentané, une caisse de prêts gratuits a été mise en pratique par le Syndicat de l’aiguille. Ce syndicat n’est pas une société de secours mutuels, mais une association formée entre patronnes et ouvrières suivant une conception bien connue, tout à fait chimérique, à mon humble avis, quand on veut l’appliquer à la grande industrie, mais qui, limitée, dans la petite industrie, à un nombre restreint d’ouvrières et de patronnes se connaissant entre elles, peut donner de bons résultats. Tel est en particulier le cas pour le Syndicat de l’aiguille, qui a pris dans le monde de la couture d’heureuses initiatives, entre autres celle dont je viens de parler.

La caisse de prêts, créée en 1893 par le Syndicat de l’aiguille,