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pas été plus heureuses. Bentivoglio observait lui-même que le nouveau ministère réserverait sans doute cette place à quelqu’une de ses créatures.

Il ne restait donc que la reine mère. Celle-ci, abandonnée de tous, se jetait dans les bras du seul homme de tête qu’elle trouvât auprès d’elle. Et, en somme, toute déconfite et bafouée qu’elle fût, elle restait la mère du Roi. Louis XIII, au fond, l’aimait toujours ou plutôt la craignait encore. N’y avait-il pas, au milieu de tout cela, et alors que la fortune du nouveau favori, si récente, se sentait encore fragile et inquiète, n’y avait-il pas un rôle à prendre, celui d’intermédiaire ? Quelques services habilement rendus pouvaient, tout en réservant l’avenir, modifier les dispositions du Roi.

L’évêque de Luçon semble bien s’être arrêté à ce plan. Il convenait à son caractère public de conseiller et confident de la Reine, à la dignité de la robe ecclésiastique, à la tenue qui doit être d’un gentilhomme. Mais que de souplesse, d’adresse et de dextérité ne fallait-il pas pour tenir ce rôle jusqu’au bout ! A Paris, on était tout au soupçon ; à Blois, tout à la fureur. La reine Marie s’enfonçait de plus en plus dans ses obtuses et intraitables obstinations, interrompues seulement, de temps à autre, par quelque éclat furieux. Dans les deux cours, des intrigans, des envieux, des ennemis déclarés ou couverts, et, les pires de tous, des amis maladroits, ne travaillaient qu’à entraver ou à gâter les plus savantes combinaisons.

L’évêque sentait en lui-même tout ce qu’il fallait pour cette escrime des cours. Mais il avait affaire à d’habiles adversaires. Il avait pu mesurer leurs forces dans les entretiens où s’étaient débattus les intérêts de la reine mère, avant le départ pour Blois. C’était là aussi qu’il avait dévoilé, peut-être un peu vite, son désir de se rapprocher de la cour. Jusqu’où avaient été les engagemens de part et d’autre ? On ne saurait le préciser. Mais Luynes et Luçon s’entendirent ou du moins feignirent de s’entendre ; ils se trompèrent l’un l’autre sans se tromper l’un sur l’autre. En un mot, il y eut entre l’évêque qui partait et le favori qui arrivait une jolie passe d’armes d’où ils sortirent bons amis et adversaires jusqu’à la mort.

Ce Luynes, poussé en une nuit, avait alors quarante ans. Il était donc sensiblement plus âgé que Richelieu. J’ai déjà dit sa grâce physique, ses manières douces et caressantes, le je ne sais quoi d’agréable et de grave qui avait captivé l’humeur morose du