Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/532

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étapes par lesquelles l’ouvrière passe souvent de la faute à l’inconduite, puis de l’inconduite à la prostitution. Ou, si le romancier suivait un plan contraire, et s’il voulait que son héroïne sortît victorieuse de la lutte, il la devrait montrer aux prises avec les pires difficultés de la vie, en proie aux angoisses du chômage, obligée de réduire sur sa nourriture, tentée dans cette crise par des propositions malhonnêtes, et il pourrait, sans mentir à la réalité de l’observation, payer le même tribut d’hommages que le poète de l’Aventurière :


À ces fières vertus qui dans un galetas
Ont froid et faim, Madame, et ne se rendent pas.


Je n’ai malheureusement rien de ce qu’il faut pour être le peintre de cette réalité. Sans parler de l’imagination et du talent, il me manquerait encore une connaissance assez approfondie de ce milieu spécial. Cependant, les circonstances m’ont déjà mis en contact avec un assez grand nombre d’ouvrières pour que j’aie pu démêler parmi elles certains types assez différens : l’étourdie, qui, rieuse, coquette, dépense en ajustemens l’excédent de son salaire, court après le plaisir et finira dans la misère ; la sentimentale, qui se laisse prendre d’abord aux belles paroles ou aux lettres bien tournées d’un commis de magasin, teinté de littérature, s’efforce gauchement de lui répondre dans un style aussi défectueux que son orthographe, puis, finissant par s’apercevoir que ce n’est pas sérieux, se résout à épouser un brave ouvrier, plutôt commun, avec lequel elle sera relativement heureuse ; l’économe, un peu ambitieuse, qui aspire à s’élever peu à peu, qui rêve d’être employée pour avoir une retraite, qui met de côté pour ses vieux jours, mais qui, fourmi peu prêteuse, refusera cent sous à une ouvrière, sa compagne ou même sa sœur ; la paresseuse, que bientôt le travail rebute, qui s’établit d’abord avec Paul, passe de Paul à Alfred, d’Alfred à un ami d’Alfred, bientôt de l’un à l’autre, et finira dans la rue ou à l’hôpital ; enfin, la pieuse et pure qui, née tendre et un peu faible, s’est fortifiée au rude contact de la vie, qui a eu sa petite peine de cœur, ayant rêvé d’épouser un employé dont la famille n’a pas voulu d’elle, et qui, par dégoût de son milieu vulgaire, par ardeur de dévouement et par instinct de femme, finit par demander au couvent les deux biens qu’elle a vainement demandés au monde, ou du moins à ce que sa simplicité appelait le monde : la paix et l’amour. Ces observations ont engendré chez