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que sa femme et que la plupart de ceux qui l’entouraient. Sa conduite et ses projets n’étaient pas sans grandeur : « Il avait, dit Richelieu lui-même, pour principal but d’élever sa fortune aux plus hautes dignités où puisse venir un gentilhomme ; pour second désir, la grandeur du Roy et de l’Etat ; et, en troisième lieu, l’abaissement des grands du royaume et surtout de la maison de Lorraine. » Il y avait du bon là-dedans. Mais, par où donc avait-il manqué ?

Il était étranger, par conséquent haï. Avec cela dur, insultant, traitant de haut en bas les plus grands du royaume. Et puis, il avait sa femme, cette malheureuse Galigaï, qui, au début, avait tant aidé à sa fortune, mais qui, à la fin, lui avait tant nui : violente, acariâtre, opiniâtre, avare, devenue folle et hallucinée, ne parlant plus que de ses visions, de ses sorcelleries, ou bien de sa mort, de sa fuite en Italie qu’elle voulait immédiate, se rebellant contre une destinée qu’elle voyait fatale ; brutale à son mari, arrogante au Roi, traitant la reine de balourde, attirant ainsi, de toutes parts, un danger quelle sentait imminent et qu’elle ne savait comment conjurer.

Oui, ces pauvres fous s’étaient perdus par leur folie, par leur ambition, par leur fortune même. Mais il y avait une autre cause que l’évêque discernait bien maintenant et dont l’évidence l’accablait. Les Concini n’avaient en France qu’un seul appui, celui de la reine régente, la première femme du royaume sans doute, mais une femme, une étrangère, elle aussi : appui mobile, capricieux, peu sûr pour les autres et, de lui-même, précaire. Et ils avaient voulu jouer la partie contre le Roi !

C’était là qu’était la faute, la fatale et initiale erreur. La volonté du Roi ! Tout ce drame avait dépendu d’elle. Un simple caprice de cet enfant, une bouderie, devinée, saisie, et aussitôt traduite en acte par une cabale attentive, et tout s’était écroulé ; et c’en était fait de ces vies altières et de ces téméraires destinées !

Concini avait de bonne heure compris le danger de sa situation. Il avait cherché à se constituer par la faveur quelque chose de plus stable que la faveur : un domaine, une sorte de souveraineté indépendante. Il avait multiplié les « places de refuge » aux portes du royaume, en Picardie, en Normandie, dans ces pays frontières d’où l’on donne si facilement la main à l’étranger et à l’ennemi : il avait occupé Amiens, fortifié Quillebœuf. Il disait :