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Lombroso. » Cette façon de démontrer le génie d’un poète n’est-elle pas, à la fois, imprévue et touchante ?


« A l’âge de plus de cinquante-cinq ans, écrit Alfieri, mon père devint amoureux de ma mère, et l’épousa. » Conclusion : Alfieri était fils d’un vieillard, ce qui explique déjà sa dégénérescence. Mais poursuivons. Alfieri raconte qu’à sept ans il souffrit beaucoup de se voir séparé de sa sœur Julie, qu’on avait mise au couvent. « Sensibilité exagérée, note M. Antonini, hypéresthésie psychique, débilité fonctionnelle de la vie émotive : tous symptômes indiquant un cerveau atteint d’une grande névrose. »

Et c’est bien pis lorsque, au chapitre suivant, l’imitateur de Rousseau croit devoir se confesser du plaisir qu’il a eu, dans son enfance, à fréquenter les offices d’une chapelle de Carmes, où il y avait des enfans de chœur jolis comme des anges. « Passion intempestive et anormale, perversion précoce du sens génésique. » Plus de doutes, désormais, sur l’existence du tempérament épileptoïde.

A neuf ans, Alfieri quitta Asti, sa ville natale, pour aller à Turin chez un de ses oncles. « Lorsque l’heure du départ arriva, je pensai m’évanouir de chagrin : et je me souviens que je pleurai pendant toute la première poste : mais bientôt l’élan de la calèche me causa un certain plaisir, car dans la voiture de ma mère, où je ne montais que rarement, nous n’allions qu’au petit trot avec une lenteur désespérante. » Alfieri ajoute d’ailleurs, pour nous expliquer ce rapide changement d’humeur, que « la curiosité de voir des choses nouvelles, la joie de courir la poste, et mille autres petites idées d’enfans » concouraient à faire pour lui de ce premier voyage un événement des plus agréables. N’importe, M. Antonini découvre là un symptôme évident de cette « manie voyageuse qui, bientôt après, va faire errer Alfieri aux quatre coins de l’Europe. »

A Turin, l’enfant est mis au collège, et le régime qu’il y doit subir ne tarde pas à le rendre malade. « J’étais mal nourri, on ne prenait aucun soin de moi, et je dormais trop peu : aussi fus-je attaqué successivement par diverses maladies, dont la plus singulière fut celle qui fit crevasser ma tête en vingt endroits différens. Je ne grandissais point : je ressemblais à une petite bougie toute mince et toute pâle. » Cela signifie, d’après M. Antonini, que « dans son adolescence Alfieri restait atteint de la même débilité constitutionnelle et de la même dégénérescence que déjà son enfance avait fait pressentir, et qui devait s’accentuer encore durant la période suivante. »