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nous faire pénétrer dans une famille huguenote à l’époque des dragonnades, nous ne serions pas fâchés d’apprendre, autrement que par une phraséologie souvent banale, ce qui se passe dans l’âme de ces gens qui luttent pour leur foi. Le seul rôle un peu développé est celui d’un curé philosophe. Ce brave homme, qui a certainement lu Voltaire, est très dépaysé dans ce milieu d’âpres croyances. Pour lui, catholicisme ou protestantisme, au fond c’est tout un ; les nuances qu’il peut y avoir entre deux manières de servir le bon Dieu valent-elles qu’on se dispute entre voisins ? On s’est demandé si ce curé est bien authentique. Cela n’importe guère et la question est beaucoup plus grave. Il s’agit de savoir ce que vaut au point de vue de l’art et de la vérité cette exhibition sommaire d’un fait considérable qui tient à tout un ensemble d’idées et de faits et se rattache à des mœurs qui ne sont plus les nôtres. Devant un auditoire de sceptiques M. Pierre Loti nous montre des dragons qui fusillent des enfans. Il fait crier par ses personnages : « Elle n’enseigne pas la pitié, la religion que vous servez. » Et : « Faites la maison vide : c’est au nom du roi de France. » Après quoi, il déclare qu’il n’a pas fait une œuvre de parti ou que, s’il l’a faite, c’est sans le vouloir : il ne l’a pas fait exprès. Nous ne refusons certes pas de l’en croire, et même c’est par-là que son œuvre redevient tout à fait intéressante.

« Il y a dans la patrie française, écrivait ici même, il y a six mois, M. Jules Lemaître, à l’occasion de son Aînée, il y a donc dans la patrie française, et quoique fondus en elle pour tout le principal, des groupes qui demeurent quand même un peu susceptibles et ombrageux. Ils ont la chance d’être plus vertueux et, proportionnellement à leur nombre, beaucoup plus forts que nous ; mais cet avantage les laisse méfians. C’est qu’ils sont arrière-petits-fils de persécutés. »

Et, sans doute, il faut passer beaucoup de choses aux « arrière-petits-fils des persécutés » ; il faut même leur donner beaucoup de places ! Mais ne pourraient-ils pas, en revanche, nous parler d’autre chose que de leurs persécutions, et même, en cherchant bien, ne pourraient-ils trouver d’autre reproche à nous faire, plus actuel et plus mérité, que celui d’avoir « révoqué l’Édit de Nantes ? »

Comment l’aurions-nous fait si nous n’étions pas nés,

et de l’erreur de nos pères n’ont-ils pas tiré, depuis longtemps, d’assez fructueuses compensations ? Dans les annales de l’histoire nationale, où tous les autres peuples, mieux inspirés, ne cherchent que des raisons de penser et de sentir en commun, on dirait, en vérité, que nous ne