cousin à cousine. Au lieu de cet âpre désir de faire fortune, c’est un vague apitoiement sur la misère humaine. Au lieu de cette liaison audacieuse et intéressée avec la reine, c’est un amour exprimé en termes si respectueux et si purs que nous en venons presque à nous demander si, dans l’esprit de l’auteur, ce n’est pas un amour platonique et ne s’adressant qu’aux perfections morales de Caroline-Christine. Il n’est guère moins dévoué au mari qu’à la femme ; et il se peut qu’il ait, comme ministre et comme médecin, pu juger ce que vaut Christian VII, il continue de respecter en lui la majesté royale. Cet homme a l’âme respectueuse. Il est soumis, il est doux, il baise la main qui le frappe. Il est incapable d’aucune vue d’intérêt personnel, incapable de jalousie, de rancune, de colère, et en général de tous les mouvemens qui partent du fond mauvais de notre nature. Mais il est capable de soupirer, il est tendrement élégiaque et agréablement mélancolique. Celui-là n’est pas un aventurier, c’est Grandisson ; ce n’est pas un ambitieux, c’est un saint ; ce n’est pas un homme d’État ; ce n’est pas un homme. Il n’a ni muscles dans le corps, ni sang dans les veines. Comment pourrait-il en avoir ? Il est en sucre.
C’est ici qu’on voit dans quelle mesure le poète peut modifier les données de l’histoire. Car on a coutume de nous dire que l’écrivain est maître de son sujet et que le poète a sur l’histoire toute sorte de droits. C’est un de ces principes qui défraient la critique courante. De loin ils en imposent ; mais il n’y faut pas regarder de trop près. Pour ma part je ne vois pas clairement quels sont les droits de M. Paul Meurice sur l’histoire de Danemark. Ce qui est exact c’est que les hommes du plus grand génie sont encore incomplets et ne réalisent qu’imparfaitement l’idée qu’ils personnifient dans le développement de l’humanité. Le poète intervient pour compléter l’œuvre de la réalité. Il achève ce qui n’était qu’ébauché, il pousse à bout ce qui n’était qu’indiqué. Il agrandit l’individu pour lui donner les proportions d’un type. Telle est bien l’opinion que Gœthe exprime dans un passage fameux de ses conversations avec le fidèle Eckerman : « Jamais aucun poète n’a connu dans leur réalité les caractères historiques qu’il reproduisait et s’il les avait connus il n’aurait guère pu s’en servir. Ce que le poète doit connaître ce sont les effets qu’il veut produire et il dispose en conséquence la nature de ses caractères. Si j’avais voulu représenter Egmont, tel qu’il est dans l’histoire, père d’une douzaine d’enfans, sa conduite si légère aurait paru très absurde. Il me fallait donc un autre Egmont, qui restât mieux en harmonie avec ses actes et avec mes vues poétiques. Et, comme dit Claire, c’est là « mon » Egmont. » Le poète a