Celle-ci, jeune, imprudente, délaissée, se sent bientôt attirée vers ce bel homme qui a une réputation d’homme à bonnes fortunes. Les deux amans ne se cachent pas ; leur liaison est publique. D’ailleurs, Struensée ne se pique pas de fidélité ; il a des maîtresses, il est avec la reine insolent et fat, pendant que celle-ci pour lui plaire abdique toute dignité, court les rues déguisée en homme, se dégrade et s’encanaille. L’amour de la reine n’a été pour le favori qu’un moyen de parvenir. En possession du pouvoir, il s’en sert pour appliquer des idées abstraites. C’est un homme à système. Beaucoup de ses idées sont justes, et il a vraiment en vue le bien de l’État. Mais il ne sait pas que des réformes, pour être efficaces, ont besoin d’être faites lentement avec le concours du temps comme avec l’assentiment public. Ou plutôt son impatience, son humeur despotique et brouillonne ne lui laissent pas les moyens d’attendre. Il ne tient compte ni des faits, ni des mœurs, ni des préjugés : il a entrepris d’arracher brusquement un pays à sa tradition. Le résultat de ces réformes hâtives et radicales est foudroyant. Le Danemark est bouleversé, la misère s’est accrue, le ministre étranger et qui affecte de ne se servir que de la langue allemande a choqué le sentiment national, le ministre philosophe a choqué le sentiment religieux ; le peuple, qu’il flatte, l’exècre autant que l’aristocratie qu’il combat ; des provinces comme de la ville, il s’élève un même cri de réprobation. Struensée, en joueur qui hasarde le tout pour le tout, avait prévu qu’il pourrait perdre la partie. Il aimait à répéter qu’il aurait le sort de Concini. Dès qu’il sent que le terrain lui manque, il ne lâche pas pied. Il se cramponne au pouvoir, il se défend avec âpreté, il s’entoure de soldats. On l’arrête une nuit pendant son sommeil. On le jette en prison. Il fait encore belle figure. Il compte sur la protection de la reine. Dès qu’il apprend qu’elle aussi, Caroline-Christine, est emprisonnée, aussitôt toute sa fermeté l’abandonne. Il essaie alors des aveux. Il donne sur ses amours avec la reine des détails cyniques. Il est lâche après avoir été violent. D’ailleurs y a-t-il eu chez lui plus d’appétit des jouissances ou plus de génie, et son œuvre a-t-elle été par ses conséquences plus utile ou plus funeste ? peu nous importe. Il nous suffit que nous puissions lui rendre sa place parmi les grands aventuriers. Ce Struensée-là est un être de chair et de sang, un de ces hommes de proie, ardens, excessifs, taillés pour la lutte, armés pour la conquête et tout débordans de vie.
Comparez-lui le pauvre fantoche imaginé par M. Paul Meurice. Au lieu des premières années consumées dans la dissipation, l’ennui, et la fièvre, c’est l’innocente idylle ébauchée avec la petite Christel, l’amourette de