Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/447

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tes vagues doucement viennent baiser la grève,
C’est toi la bonne hôtesse au souriant accueil,
La princesse idéale, et la dame du Rêve.

Mais le havre tranquille est voisin de l’écueil,
Et sitôt qu’a soufflé le vent de ta colère,
La terre s’inquiète et tremble et prend le deuil.

Courtisane d’amour qui ne songeais qu’à plaire,
Quelle âme de douleur est en toi maintenant ?
Quel brouillard a soudain voilé ta face claire ?

Toi qui riais, joyeuse et libre à tout venant,
Tu sombres dans la nuit, tu t’embrumes de larmes,
Plus même une lumière à ton front rayonnant.

Après l’instant béni, pourquoi ce vent d’alarmes ?
Je ne sais quel dégoût monte de ta beauté,
Un relent d’amertume est au fond de tes charmes.

Et notre cœur aussi, brusquement arrêté,
Se demande s’il rêve et quel fardeau l’oppresse ;
Notre rancœur se noie en ton immensité.

Puis tu deviens la sombre et terrible maîtresse
Qui, pâle, se redresse, et gronde, et brise tout ;
Une flamme a jailli de ta morne détresse.

Pourquoi pleurer ? N’es-tu donc pas celle qui bout ?
Le feu damné, le feu d’enfer ? Ta male rage,
Cent meurtres consommés, n’est pas encore à bout.

Et tu grinces des dents comme sous un outrage.
C’est toi l’affreux récif droit en travers du port,
C’est toi l’horrible voix qui hurle dans l’orage

Tu bondis, et les rocs croulent sous ton effort,
Le monde tout entier tremble de la secousse ;
La mort, la mort, la mort, à l’infini la mort !…