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d’intérêts dans la Méditerranée, il avait des ennemis, et il ne négligea rien pour qu’ils fussent traités en adversaires par la Turquie. C’est alors que la France vit diminuer sa situation, fut même en butte aux avanies comme une quantité négligeable. Et déjà, étendant le cercle de ses ambitions, l’Empereur songeait à se créer des intérêts orientaux, il rendait public son projet de voyage qui, en Palestine, en Syrie, en Égypte, allait porter le pavillon impérial où avait été le plus fortement planté le drapeau de la France, et qui semblait fait pour effacer dans ces contrées pleines de nos souvenirs l’éclat des vieux services par la splendeur de son soleil levant.

Mais dans ce ciel mobile les nuages montent vite, et déjà quelques-uns ternissent cet azur hier si éclatant. Les Allemands eux-mêmes, malgré leur habileté, ont commis des fautes, et leur première faute a été de trop vanter leur habileté. Les Allemands n’ont pas la discrétion du succès. La dernière guerre, à les en croire, serait leur œuvre. Leur intelligence politique en a discerné le moment, leur science militaire en a tracé la mobilisation, la stratégie et la tactique, leur industrie en a fourni les armes ; ils ont laissé seulement au Turc le soin de se battre et de mourir, fonctions subalternes. Ces affirmations, qui ont accru peut-être la renommée de l’Allemagne dans les pays trop lointains pour discerner le vrai et la légende, ont offensé les Turcs. Pour ce peuple avant tout militaire et sensible à la gloire de l’épée, rien ne pouvait être plus blessant que la prétention d’une autre nation à lui prendre l’honneur de ses victoires. Le dernier soldat ottoman sait que dans la dernière guerre pas une compagnie n’a été commandée par un officier chrétien ; l’état-major turc est fier d’avoir seul préparé le rassemblement, les marches et la dislocation de l’armée ; l’orgueil musulman, qui consent à prendre comme maîtres d’école militaires quelques officiers allemands dans le Saint-Cyr de Constantinople, n’a pas accepté que ces maîtres d’école parussent donner des leçons aux généraux de l’Islam. Dans l’armée, que la raideur et la morgue de certains parmi ces pédagogues avaient déjà mal disposée, il s’est formé une opinion pour critiquer les impeccables et chercher dans quelle mesure l’Allemagne, trop fière de ses services, les avait rendus. On a rappelé que la première fourniture de ces armes si vantées avait été de 120 000 fusils Mauser, mal faits, de gros calibre ; que l’Allemagne, après les avoir rebutés pour elle-même, les avait offerts à son amie au moment où les gros calibres étaient partout abandonnés pour les petits.