Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moi nous sommes un. » Les voix de l’unisson grégorien, fussent-elles cinq cents, ou cinq mille, sont unes de cette manière. Nombreuses, et, s’il était possible, innombrables, elles seraient encore consubstantielles. Et que l’unité qu’elles signifient, qu’elles établissent parmi nous et en nous, soit analogue à l’unité divine, cela constitue entre l’objet de la musique grégorienne, qui est divin, et cette musique elle-même, une convenance nouvelle et sacrée.

L’antiquité de l’art grégorien en accroît aussi le caractère religieux. Plus que tout autre chant, le plain-chant est contemporain de ce qu’il chante ; ce mode d’expression a paru en même temps que l’ordre des idées et des sentimens qu’il exprime, et c’est encore une raison pour qu’il les exprime avec fidélité. La question des origines du plain-chant est résolue au fond ; quelques détails seuls demeurent discutés. « C’est au courant gréco-latin, nous dit le savant directeur de la Paléographie musicale, que l’Eglise emprunta les élémens premiers de sa mélodie. Le genre diatonique lui convenait à cause de sa noblesse et de sa fermeté ; elle se l’appropria, laissant de côté les genres chromatique et enharmonique dont la mollesse répugnait à la pureté du culte divin. Il est probable aussi qu’elle adapta ses cantilènes aux modes et aux gammes des Hellènes. Dans quelle mesure ? Il est impossible de le dire. S’empara-t-elle des airs mêmes païens (des nomes), pour les baptiser et les mettre dans les bouches chrétiennes ? On l’a affirmé récemment sans en donner l’ombre d’une preuve ; cette affirmation est en contradiction manifeste avec tout ce que nous connaissons des Pères et des Conciles et avec l’esprit de l’Eglise. Jusqu’à plus ample informé, je considère les airs de nos antiennes comme de véritables créations de l’Eglise[1]. »

Ainsi constitué, le plain-chant, nous l’avons dit précédemment, est la plus vieille musique dont les œuvres en grand nombre soient parvenues jusqu’à nous. Témoin vingt fois centenaire du christianisme primitif, certains siècles ont pu le récuser ou le corrompre ; le nôtre, près de finir, semble prêter l’oreille à son témoignage sérieux et doux. L’idéal religieux tend à remonter le cours des âges. Hier, nous avions cru le trouver à Saint-Gervais, dans cette polyphonie palestrinienne dont un jeune maître de chapelle, qu’on ne saurait assez remercier, nous a rendu l’intelligence et

  1. L’Art grégorien, son but, ses procédés, ses caractères, conférence faite à l’Institut catholique de Paris, en 1897, par le H. P. Dom Mocquereau.