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types divers. La messe peut se dire partout, fût-ce dans une humble grange, mais nulle part elle ne se dit qu’en des paroles invariables et consacrées. Et si la forme de l’édifice importe moins que celle des mélodies, c’est que l’architecture ne fait pas corps avec les paroles mêmes, c’est que, sans leur être étrangère, elle leur est du moins extérieure. La mélodie au contraire est en elles ; elle les anime, elle les inspire, elle en est l’émanation, l’efflorescence et le rayonnement.

L’art grégorien n’est que chant. Tel est son premier caractère et la raison première aussi de sa vocation sacrée. Il semble bien que le chant de la voix humaine constitue la musique la plus affranchie qui soit de la fiction et de l’artifice ; la musique où le moins de matière se mêle à la parole, pour l’appesantir, la contraindre ou l’altérer. Aussi bien la nature des choses et des lieux même s’accorde avec la conception exclusivement vocale de la musique religieuse. Il se trouve que pas un instrument, pas même un orchestre n’est à sa place et ne semble à son aise dans une église. Un violon seul y grince misérablement ; cinquante violons s’y entendent à peine. Une fanfare militaire n’y produit qu’un horrible tapage. Ainsi l’acoustique des nefs est fatale à toute symphonie : elle rend imperceptible la sonorité des instrumens à cordes, et celle des instrumens de bois ou de métal odieuse.

En principe, et selon la rigueur de la théorie ou de l’idéal grégorien, le plain-chant devrait se passer de tout accompagnement. En fait, même à Solesmes, l’orgue l’accompagne toujours. Une des plus récentes publications bénédictines consiste dans un Livre d’orgue qui renferme, harmonisés et accompagnés, les chants ordinaires de la messe et des vêpres. La préface de ce livre en est tout simplement le désaveu formel. Elle débute ainsi :

« Le plain-chant doit-il être accompagné ?

« Non. Tel est l’avis de tous ceux qui se sont sérieusement occupés de cette question. Tel est aussi le nôtre.

« Dans l’espèce, en effet, l’accompagnement est un anachronisme, un hors-d’œuvre et un danger.

« Un anachronisme, car la cantilène liturgique a été composée en dehors de toute conception polyphonique ; un hors-d’œuvre, car la mélodie se suffit à elle seule par sa perfection même ; undanger, car la polyphonie ayant ruiné le plain-chant une première