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à l’abbaye de solesmes.

nous conduit à la chapelle. Deux novices doivent y faire profession ce matin. Elle n’est pas grande, la chapelle des Bénédictines, mais elle est très claire, toute blanche, plus élégante et plus féminine, avec ses nervures gothiques, que la nef de Saint-Pierre, aux lourds piliers romans. L’assistance est peu nombreuse ; au premier rang, sur un carreau de soie cramoisie, une jeune femme est agenouillée et prie : c’est une princesse de sang royal et sa mère est religieuse ici.

La chapelle a pris son aspect et sa parure de fête. Sur l’autel, du côté de l’épître, on a disposé pour chaque professe le manteau de chœur, le voile, l’anneau et la couronne. Une console porte l’écritoire, la plume, et la cédule où sera signé le contrat des noces divines. Sur tout cela, suivant les prescriptions du rituel, on a répandu des fleurs. Bientôt le Révérend Père Abbé fait son entrée. Vêtu de la cape romaine, dont on soutient la traîne derrière lui, il l’échange, après de courtes oraisons, pour les ornemens épiscopaux : la chape et la mitre d’or. Puis, au son des cloches, précédé par le porte-croix et les porte-cierges, suivi de ses acolytes, il sort de la chapelle et s’avance jusqu’à la porte de la clôture. Il y frappe ; elle s’ouvre à deux battans et montre, dans la pleine lumière du cloître apparu soudain, la foule immobile et muette des religieuses sombres. À leur tête se tient l’Abbesse ; elle a la croix sur la poitrine et dans la main la crosse. Sans un geste, sans un mot, elle confie les deux jeunes filles à ceux qui tout à l’heure les lui rendront à jamais consacrées. Au milieu de la procession reformée, à travers la cour pleine de fleurs et d’oiseaux, sous un vélum tendu contre l’ardeur du soleil, elles s’avancent l’une et l’autre, chacune entre deux marraines qui ne les quitteront pas jusqu’à la fin de la cérémonie, comme pour mettre autour d’elles, parmi ces hommes austères qui vont recevoir leurs vœux, un reste de douceur féminine et de maternelle protection.

La messe commence et se poursuit comme à l’ordinaire jusqu’au chant du Graduel. Alors la voix du diacre invite les vierges à préparer leurs lampes et à sortir au-devant de l’époux. Elle annonce le drame qui va, non pas se jouer, mais réellement s’accomplir ; drame très simple, très poignant, où ne se trouvent en présence, comme dans la tragédie antique, qu’un petit nombre de personnages. Entre le célébrant et les jeunes filles s’établit un dialogue par antiennes et répons, modulé