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À L’ABBAYE DE SOLESME


Dans une lettre de Louis Veuillot à un peintre de ses amis, j’avais trouvé cette page : « Quand tu auras quinze jours à dépenser, viens dans cette tranquille et renaissante abbaye de Solesmes. Elle renaît, non à l’âge où elle est morte, mais juste à l’âge de la belle et fervente jeunesse. Quinze jours ici te vaudront quinze mois d’études ; tu verras des têtes de moines, tu sauras ce que c’est qu’une physionomie de saint dans l’ordinaire de la vie. La grave douceur de la méditation demeure sur ces visages, comme l’odeur de l’encens reste dans l’église après que les encensoirs sont éteints.

« Tu seras reçu chrétiennement, c’est tout dire. On te donnera une des chambres qui regardent sur la campagne et sur la rivière ; d’un côté, tu entendras chanter les oiseaux, de l’autre, les moines. Tu jouiras de la beauté des offices… C’est l’office divin d’avant le progrès. Le très révérend père abbé ne permet pas que rien ose altérer la saveur de la divine liturgie…

« Viens, n’apporte que l’ordinaire bagage… Mais si par hasard tu voulais des livres, il y en a ; et si, sans te donner la peine d’ouvrir ces livres, tu veux cependant savoir ce qu’ils disent, on te le dira… La science ici est douce et généreuse ; le savant ne garde pas sa trouvaille pour garnir un rapport à l’Académie. Comme c’est à Dieu qu’il a demandé la science, il sait qu’il ne l’a reçue que pour la donner ; il la donne. Oh ! que ces hommes savent, et savent humblement, et enseignent cordialement[1] ! »

Bon pour un peintre, le conseil de Veuillot m’a paru meilleur

  1. Louis Veuillot, Çà et là.