Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certains points par l’accumulation des vases et des sables ; en d’autres, il n’a plus que quelques pouces d’eau et ne peut servir qu’à un trafic local. La Chine actuelle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été. Sauver la face, jeter de la poudre aux yeux, voilà tout ce qu’est capable de faire son administration décrépite et pourrie. Cette déchéance date de loin et la catastrophe qui a jeté un pays de 400 millions d’hommes aux pieds d’une nation dix fois moins nombreuse n’est que le dernier trait d’une longue décadence.


IV

Comment ce peuple qui fut grand, qu’on peut comparer en Extrême-Orient à ce que furent les Romains dans les pays méditerranéens, est-il tombé au point où nous le voyons ? Le fléau de la Chine aujourd’hui et depuis longtemps, ce qui paralyse tout effort, ce qui arrête tout progrès, c’est le mandarinat ; et malheureusement ce fléau est son orgueil. C’est par l’Etat, routinier, incapable, corrompu, que périt cette nation. Sans doute on a dit que les peuples n’ont jamais que le gouvernement qu’ils méritent ; sans doute l’organisation de l’administration chinoise est le produit des conditions géographiques et des circonstances historiques dans lesquelles s’est trouvée la Chine, comme du caractère même du peuple chinois. Mais ce sont les traits les plus fâcheux de ce caractère qui se retrouvent, accentués, chez le corps de lettrés qui gouverne l’empire, alors que les qualités sérieuses d’activité et d’énergie semblent avoir disparu.

Les Européens ne sont pas encore à même de se rendre un compte bien exact de la manière dont est organisé le gouvernement chinois, théoriquement fondé sur les mêmes principes que le gouvernement de la famille. Mais ce que nous savons d’une façon certaine, c’est qu’il est entièrement entre les mains de la classe dite des « lettrés » ou des « mandarins » dans laquelle sont recrutés tous ses fonctionnaires. C’est de l’esprit de cette classe qu’il importe de se rendre compte, si l’on veut connaître les tendances qui dirigent le gouvernement de l’Empire du Milieu et savoir ce qu’on en peut attendre. La classe des lettrés n’est pas héréditaire : elle se recrute de la manière la plus démocratique du monde, par des examens auxquels tous ont accès. Ces examens