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Peu de sites font une impression plus grandiose que la vallée en hémicycle autour de laquelle s’élèvent, sur les dernières pentes des collines, les monumens funéraires de treize empereurs de la dynastie des Ming. Chacune de ces tombes est une réunion de plusieurs édifices entourés de beaux arbres verts, qui contrastent avec la dénudation habituelle des montagnes chinoises. La large voie qui y mène, dallée, mais disparaissant presque aujourd’hui, pénètre par un superbe arc de triomphe dans la vallée silencieuse et qui paraît déserte, quoique cultivée, car c’est à peine si l’on aperçoit les petits villages, tapis au pied des hauteurs. Après avoir passé sous d’autres portes élégantes que soutiennent des colonnes munies d’ailes, on arrive à une gigantesque allée de colosses monolithes représentant des figures d’animaux alternativement assis et couchés, puis des hommes, législateurs et guerriers. Des chemins rayonnent ensuite vers chacun des tombeaux, dont j’ai visité l’un, celui du premier empereur Ming qui ait régné à Pékin.

Après avoir pénétré dans une haute enceinte par un porche à trois portes mal entretenu, et traversé des cours plantées d’arbres verts, on arrive à la grande salle. Devant toute la façade courent plusieurs rangs de marches de marbre aux rampes finement sculptées. La salle elle-même n’a pas moins de soixante mètres de long sur vingt-cinq de large et une douzaine de hauteur. Elle est presque entièrement vide et l’on n’y voit d’abord que les quarante gigantesques colonnes de bois, formées d’un seul tronc d’arbre, et que deux hommes ne peuvent embrasser, qui supportent le toit ; ces colonnes passent pour être venues des confins de l’Indo-Chine ; au milieu d’elles se dissimule un petit autel, où tombent en miettes des vases remplis de poussière et sans intérêt artistique, tandis qu’un peu en arrière, dans une sorte de tabernacle, se trouve simplement la tablette de l’empereur défunt portant son nom gravé en trois caractères chinois. Son corps gît plus loin, au fond d’une galerie qui pénètre d’un mille dans l’intérieur de la colline, mais qui est murée à peu de distance de l’entrée, où l’on arrive après avoir traversé encore deux cours séparées par un portique. De la large tour qui s’élève au-dessus de cette entrée et sur les murs de laquelle d’innombrables visiteurs chinois et quelques Européens ont gravé leurs noms à la pointe de leurs couteaux, la vue embrasse l’hémicycle des montagnes et toutes ces tombes que leur simplicité voulue et la rareté