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a toujours un nombreux personnel : cela ajoute à son prestige, puis chaque homme a sa fonction spéciale et ne voudrait se charger d’aucune besogne de surcroît. Quant au squeeze, c’est un usage universellement admis, presque avoué ; il est aussi nécessaire d’en passer par-là que par le pourboire ou le « sou du franc » chez nous en mainte circonstance ; puis il y a encore économie à le faire plutôt que d’essayer de traiter directement.

En sortant de Pékin par le nord, on traverse l’espace sablonneux et stérile sur lequel s’étendait au XIIIe siècle une partie de la ville qui s’est depuis déplacée vers le sud, puis de grosses bourgades suburbaines, qui sont surtout des agglomérations de marchands, et l’on se trouve ensuite dans la plaine admirablement cultivée qui s’étend au nord de Pékin jusqu’au pied des collines. Elle est plus dénudée qu’au sud et l’on ne voit d’arbres qu’auprès des villages, tous entourés d’une verte ceinture de saules et disséminés en grand nombre au milieu des champs, à deux ou trois kilomètres à peine de distance les uns des autres. Dans cette région, le sol et le climat sont trop secs pour le riz ; aussi y cultive-t-on le blé d’hiver que je voyais semer et parfois déjà sortir de terre au mois d’octobre et qui ne gèle pas dans la terre très sèche, malgré des froids de 20 degrés et le peu d’épaisseur de la neige ; récolté dès le milieu de mai, du sorgho, du millet ou du sarrasin lui succède, et c’est le millet qui forme ici le fond de la nourriture des hommes. On a toujours le spectacle du travail actif des paysans, labourant avec d’assez fortes charrues, plus sérieuses que celles des moujiks sibériens et qu’ils attellent de deux mulets ou de deux chevaux, quelquefois de trois petits ânes. Dans les villages on voit battre le grain ou lier les grandes tiges du sorgho qui doivent servir à faire des nattes ou des cloisons ; les femmes aident à ces derniers travaux qui ont lieu près des habitations, mais ne s’en éloignent pas pour aller aux champs. Les chemins sont en général mauvais ; ils ne l’ont pas été toujours ; des ponts sont superbes encore, mais les dalles de la chaussée qu’ils portent sont entièrement disjointes, d’autres rivières doivent se passer à gué près des ruines d’un pont. Tout indique qu’on suit le tracé d’une très grande voie d’autrefois. Il est vrai que cette voie mène aux tombeaux des Ming ; cela explique à la fois le luxe qui a présidé à sa construction lorsque cette dynastie régnait et l’abandon où elle se trouve depuis que les Mandchous ont détrôné les Ming en 1644.