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peau. Pour éviter d’être trop bousculé, il faut parfois se réfugier dans les boutiques, ouvertes sur la rue de toute leur largeur, et au fond desquelles les marchands fument paisiblement leur longue pipe derrière le comptoir et causent avec les cliens en leur montrant les marchandises. Ces magasins, où tout est rangé avec un soin minutieux, et dont le séjour est presque toujours agrémenté par un bocal à poissons rouges ou une cage pleine d’oiseaux, ont un air calme, ordonné, propret même, qui contraste avec le bruyant tohu-bohu, avec l’effroyable saleté de la rue. C’est cette saleté qui est le caractère commun de toutes les grandes artères de Pékin, qui ressemblent à celle-ci, avec moins d’activité et de luxe dans les magasins qui les bordent. Dès qu’il a plu, c’est-à-dire pendant tout l’été, une boue de deux pieds de profondeur ; lorsqu’il fait sec, une poussière épaisse et putride, soulevée souvent en tourbillons par un violent vent du nord. Les côtés, toujours plus bas que le centre, sont en grande partie occupés par des mares à l’eau verdâtre et croupissante où pourrissent, en exhalant une odeur infecte, des détritus variés, des cadavres d’animaux, tous les déchets des maisons voisines. On a presque peine à s’expliquer que la population de Pékin n’ait pas été depuis longtemps anéantie par les épidémies qui devraient se propager avec une rapidité terrible au sein de cette affreuse malpropreté.

Lorsqu’on quitte les peu nombreuses grandes voies, on tombe ou dans des espaces vides qui ne sont pas rares à Pékin et qu’occupent souvent de vraies montagnes d’immondices, ou dans le dédale des petites rues, qui sont de deux sortes. Les unes, voisines surtout de la grande artère commerciale, sont, comme elle, exclusivement bordées de magasins ; à peine assez larges pour livrer passage à une seule charrette, une foule épaisse les encombre aussi. Les autres sont les rues où donnent les habitations ; elles sont tristes, généralement silencieuses ; des deux côtés, une suite de murs gris percés, à de longs intervalles, d’une petite porte ; celle-ci est-elle ouverte, on n’aperçoit de la rue qu’une minuscule avant-courette de quelques mètres carrés et, en face de soi, un mur ; une ouverture latérale permet seule de pénétrer dans la cour proprement dite, qui est invisible du dehors. C’est sur les cours que donnent les portes et les fenêtres des maisons basses à simple rez-de-chaussée, au toit à double pente, recouvert de tuiles grises, souvent orné aux angles de quelque animal de pierre, mais