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reine, du général de Neuilly, de M. Piscatory et la mienne. — Cependant, tandis que le roi commençait à écrire, sous l’impulsion du duc de Montpensier qui le pressait, quelques voix se firent entendre demandant une abdication en faveur de la régence de la duchesse d’Orléans à l’exclusion de celle des princes ses fils. Alors, le pauvre roi, se retrouvant tout à coup lui-même, avec une résolution et un accent vraiment admirables au milieu de tant de faiblesses : « Je ne signerai jamais cela, s’écria-t-il. Plutôt mourir. C’est contraire à la loi ! » Et il signa son abdication, en rappelant la loi du 30 août 1842[1].

À ce moment, la reine se pencha vers la duchesse d’Orléans, et lui dit quelques mots devant lesquels la princesse se courba avec des larmes dans les yeux. On pouvait y lire comme une protestation contre des paroles sévères qui semblaient lui avoir été adressées par la reine. — On a raconté à ce sujet que la reine, après l’abdication signée, se tournant vers la duchesse d’Orléans, lui aurait dit avec amertume : « Vous devez être contente, Hélène. » — C’est contre ces mots qu’aurait protesté la princesse dans sa suppliante attitude. Pendant cette scène si cruellement agitée et si solennelle à la fois de l’abdication, dans laquelle le roi, fort peu préoccupé de sa personne, ne voyait qu’un sacrifice destiné à sauver la France et la couronne de ses enfans, un fait abominable vint mettre tout à coup dans le plus grave danger sa sûreté et sa vie elle-même : au moment où le roi Louis-Philippe avait pris la résolution définitive d’abdiquer en faveur de son petit-fils, l’ordre avait été donné aux écuries de la rue de Chartres de faire avancer deux voitures destinées à conduire à Saint-Cloud la famille royale, tandis que la duchesse d’Orléans et ses enfans devaient se rendre à la Chambre des députés, afin d’y recueillir, au nom du comte de Paris, la succession royale laissée vacante par l’abdication de son aïeul.

La voiture du roi, attelée de quatre chevaux et précédée d’un jeune piqueur, venait de déboucher de la rue de Chartres sur la place du Louvre pour se diriger vers les arcades du pavillon de Flore, lorsqu’une bande d’émeutiers — ou plutôt d’assassins —

  1. Article 2 de la loi sur la régence du 30 août 1842 : « Lorsque le roi est mineur, le prince le plus proche du trône, dans l’ordre de succession établi par la Déclaration et la charte de 1830, âgé de vingt et un ans accomplis, est investi de la régence pour toute la durée de la minorité. » — La loi attribuait donc la régence au duc de Nemours, pendant qu’en vertu de l’article 6, la garde et la tutelle du roi mineur devaient appartenir à MMe la duchesse d’Orléans.