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Odilon Barrot, Rémusat, Duvergier de Hauranne, Léon de Malleville, etc. Leur avis unanime fut que M. Tliiers devait accepter et faire accepter la liste qu’on pouvait regarder comme toute dressée. La première mesure politique devait être la dissolution de la Chambre des députés ; la proclamation d’une réforme était la première des lois à soumettre à la future assemblée. Le maréchal Bugeaud ne pouvait être accepté pour le commandement supérieur actuel de l’armée et de la garde nationale de Paris. Chez M. Thiers, l’opinion était d’ailleurs unanime que la nomination du nouveau ministère et l’annonce du triomphe de la réforme suffiraient à calmer les désordres publics et à faire tomber les armes des mains des plus exaltés. À ce moment de la matinée, cette opinion n’était contredite ni par Marrast du National ni par Garnier-Pagès et ses amis.

L’étrange aberration du palais des Tuileries, qui voilait à tous les yeux les ruines du lendemain, se manifestait donc en même temps à l’hôtel de la place Saint-Georges. Des deux côtés, on ne voyait qu’une évolution constitutionnelle et dynastique, là où il devait suffire d’un petit nombre de chefs républicains audacieux, que l’aveuglement général laissa passer, pour en faire la plus profonde des révolutions.

Le mot des nouveaux ministres qui se rendaient aux Tuileries avec M. Thiers, de huit à neuf heures du matin, était celui-ci : « Nous n’entrerons pas au pouvoir les pieds dans le sang. » J’ai entendu ces paroles, signal de l’abandon de la défense et de l’impuissance de ceux-là mêmes qui les prononçaient, sans se douter qu’ils sonnaient le glas funèbre de la royauté de Juillet et de la monarchie constitutionnelle !

C’était surtout le mot d’ordre de M. de Rémusat et d’Odilon Barrot, accepté par M. Thiers. M. Thiers arriva bientôt au palais, accompagné par Duvergier de Hauranne. J’y entrai en même temps qu’eux, et pendant que Thiers était chez le roi pour lui présenter la liste presque entière de ses collègues, j’abordai pourla première fois depuis nombre d’années M. Duvergier de Hauranne, dont j’étais séparé moins par une lutte d’influence dans le département du Cher, que par son hostilité amère et insensée contre la personne du roi. Je pus tristement constater, dans le peu de mots que nous échangeâmes, avec quelle absence de volonté ferme et de résolution le nouveau ministère allait affronter une des situations les plus difficiles et les plus compromises qu’il