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et le défaut de résolution et d’énergie qui ne laissait nulle part à l’autorité publique son unité et sa force. Je ne parle pas du roi : il était hors de sa voie et semblait condamné par là à la plus complète inaction, attendant, comme dans un jour calme et avec une illusion qui résistait à toute lumière, la formation du ministère qu’il avait confiée, quelques heures auparavant, à M. Thiers.

Cependant, le péril croissait à chaque instant, et déjà différens postes de la ligne étaient menacés ; celui du Chàteau-d’Eau en particulier, sur la place du Palais-Royal, était attaqué par des émeutiers dirigeant sur lui du coin des rues et de plusieurs fenêtres une fusillade meurtrière, et par d’abominables incendiaires qui, après avoir accumulé des matières inflammables, avaient entouré de flammes la petite troupe héroïquement fidèle à ses devoirs. Le croirait-on ? aucune force ne reçut l’ordre de lui porter secours. Seuls, le maréchal Gérard et Lamoricière, croyant —comme tant d’autres l’ont cru ce jour-là — que leur popularité suffirait à faire tomber les armes des mains des factieux, tentèrent un effort honorable pour sauver les assiégés, mais bientôt ils furent repoussés, et les malheureux soldats demeurèrent abandonnés à leur sort.

On comprend quel désordre de telles nouvelles jetaient dans les esprits, combien elles augmentaient l’audace des révolutionnaires qui criaient encore : « Vive la réforme ! » non pour l’obtenir, mais pour la dépasser en allant jusqu’à une révolution nouvelle. Il y eut, en ces terribles heures, une chose remarquable : nulle part, autour des Tuileries et dans les rangs où j’entendais des cris si nombreux de « Vive la réforme ! » je ne distinguai un seul cri de « Vive la république ! » Ainsi la bourgeoisie et la majorité de la garde nationale de Paris se trouvaient conduites par une pente fatale vers les extrémités qu’elles devaient si amèrement déplorer dès le lendemain. Pendant ce temps, l’anarchie entre les chefs donnait de l’audace aux plus mauvais, paralysait les braves citoyens, encore nombreux, disposés à rétablir l’ordre par la force, et immobilisait l’armée elle-même toute prête à l’action.

Au milieu de ces scènes, on racontait, dans les groupes de la cour des Tuileries, ce qui s’était passé chez M. Thiers après son retour place Saint-Georges. Il y retrouva la plupart de ses amis réunis en permanence, et, parmi eux, le groupe tout formé qui devait lui fournir ses collègues, dont les principaux étaient :