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mots en passant. Je ne l’avais pas revu depuis le jour où, plus d’une année auparavant, il était venu me proposer de me réconcilier avec Duvergier de Hauranne, à propos de la petite guerre que nous nous faisions alors, dans le département du Cher, au sujet de la nomination d’un président de tribunal ; Thiers voulait renouer, par cette réconciliation, l’alliance qui nous avait autrefois réunis, dans l’intérêt de la politique libérale pour laquelle il savait que je faisais les mêmes vœux que lui. Je n’avais pu accepter ces ouvertures, mais nous n’étions nullement en mauvais termes ; nous avions l’un pour l’autre des ménagemens que des amitiés communes ne nous permettaient pas d’ignorer. Aussi, je savais d’avance que je pouvais lui dire toute ma pensée, et qu’il l’accueillerait.

En attendant l’arrivée de M. Thiers, j’eus tout le loisir de causer avec le duc de Montpensier, prince intelligent et aimable, mais n’ayant que l’expérience de ses vingt-trois ans ; c’était de tous les fils du roi celui qui lui ressemblait le plus au moral comme au physique ; à ce titre, il avait été le préféré de Madame Adélaïde, dont il fallait regretter plus que jamais les conseils au milieu des circonstances où manquait à Louis-Philippe la meilleure compagne politique de sa vie entière. Je fus tristement impressionné de l’espèce de tranquillité avec laquelle le prince jugeait la situation, les mouvemens de l’opinion publique et les dangers du lendemain. On trouvait chez lui, comme on l’aurait trouvé chez ses deux frères alors en Algérie, une grande joie de l’éloignement de M. Guizot, mais en même temps fort peu de préoccupation pour le sort constitutionnel qu’allait faire au roi l’acceptation forcée de la présidence de M. Thiers. Je ne puis d’ailleurs m’empêcher de le dire, pour rendre hommage à toute la vérité : il y avait chez les princes, moins le duc de Nemours, il y avait chez la duchesse d’Orléans, une sorte d’allégement à la pensée que la royauté serait moins engagée dans la pratique de la politique quotidienne, politique dont la famille royale presque entière était fatiguée, en le disant et l’écrivant, d’ailleurs beaucoup trop. Il n’est certes pas un seul de ses membres qui fût entré à cet égard dans des intrigues coupables ; mais plusieurs ne réagissaient pas assez contre des vœux téméraires qui étaient trop souvent proférés autour d’eux, vœux qui allaient jusqu’à l’abdication du roi et qui contribuaient, bien à l’encontre de la pensée de leurs auteurs, à ébranler sur son trône, non pas