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les instances du préfet de la Seine, lui disait en regardant la pendule : « Il se fait tard, mon cher préfet, il faut que j’aille prendre du repos, et me mettre en bon état pour traiter demain avec l’Europe des questions bien autrement sérieuses que les billevesées des Parisiens. » Devant l’aveuglement de Guizot et de Duchâtel, je n’insistai qu’avec plus de force sur les motifs de la conviction profonde avec laquelle je m’adressais au roi.

« M. Molé, lui dis-je, perd un temps précieux en visites parlementaires qui ne peuvent aboutir qu’à des négociations, à des conférences et enfin à des atermoiemens qui excluent toute prompte solution. De plus, à son retour chez lui, M. Molé doit s’y heurter à de nouveaux obstacles en y constatant le refus des deux hommes politiques les plus importans du ministère qu’il s’efforçait de former. Croyez-moi, Sire, tout vous autorise à aller de l’avant en tenant compte de la marche compliquée que M. Molé s’est tracée, des refus que je vous apporte de MM. Dufaure et Passy, et enfin du caractère même de l’ancien président du conseil, que vous connaissez si bien. Souffrez que je vous supplie de mettre de nouveau en demeure M. Molé, en donnant à un de vos aides de camp mission de lui dire que, dans le cas où il n’aurait rien terminé, les nouvelles venues de toutes parts faisaient au roi une obligation de renoncer à la combinaison la plus désirée par lui, pour en chercher une autre plus prompte et plus facile. Pour vous dire toute la pensée que mon dévouement vous doit, j’ajoute que s’il est indispensable de vous assurer sans retard de la formation d’un ministère parlementaire propre à inspirer confiance à la garde nationale et à la population de Paris, il est une condition de salut plus urgente encore à réaliser, — celle d’avoir une épée, une forte épée toute prête pour demain. Je suis donc profondément convaincu que la première chose à faire serait de s’assurer du concours du maréchal Bugeaud, ministre de la guerre, s’il est possible, et, dans tous les cas, commandant général de l’armée et de la garde nationale.

— Comment, mon cher comte, me dit Duchâtel, vous oubliez donc que le général Jacqueminot est commandant général des gardes nationales ? » Jacqueminot était le beau-père de Duchâtel, et, franchement, je n’avais songé ni au général, que j’avais vu dans la matinée, ni au gendre à côté de qui je me trouvais.

Aussi, dans ma préoccupation des intérêts supérieurs qui me faisaient peut-être trop oublier la forme et les précautions oratoires